Quel que soit le verdict du 6 mai, le PS ne pourra pas se contenter de revenir à la case départ (Le Monde, 27/04/2007)

Publié le par François Alex

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Analyse
Le big bang social-démocrate du PS
Article paru dans l'édition du 27.04.07

a règle est aussi ancienne que l'élection présidentielle au suffrage universel. Depuis 1965, tout candidat socialiste qualifié au second tour de la « mère des élections » tente, pour être élu, de séduire l'électorat centriste. En 1965, François Mitterrand, pourtant candidat commun des socialistes et des communistes, a ainsi cherché à capter une part des électeurs de Jean Lecanuet. En 1974, de nouveau candidat unique du PS et du PCF, il a fait de même vis-à-vis de l'électorat de Jacques Chaban-Delmas. Ses deux tentatives de « débauchage » électoral ont tourné court jusqu'à ce que, en 1981, le coup de pouce souterrain de Jacques Chirac lui ouvre les portes de l'Elysée.
 
Ségolène Royal ne fait que copier la méthode de François Mitterrand. Avec les 25,87 % qu'elle a obtenus de haute lutte au premier tour - 5,31 points derrière Nicolas Sarkozy -, la candidate socialiste sait que, pour avoir une chance d'être élue le 6 mai, elle doit « récupérer » une bonne part des électeurs de François Bayrou. Mais, à la différence de son mentor, elle met en oeuvre cette stratégie dans des conditions plus délicates.
 
En appelant, avant même le 22 avril, à une « alliance » avec l'UDF, les « Gracques » - ces anciens hauts fonctionnaires socialistes -, Michel Rocard et Bernard Kouchner ont vendu la mèche trop tôt, au risque de saborder la suite. La volonté de M. Bayrou de se qualifier au second tour, en éliminant de préférence une Mme Royal à laquelle il tentait de ravir des sympathisants socialistes déçus ou sans illusions sur ses chances, privait la députée des Deux-Sèvres de tout rapprochement avec le centre. Et mettait en péril sa stratégie de l'après-22 avril.
 
Obligée de faire cette ouverture dès le soir du premier tour, Ségolène Royal - qui venait d'enregistrer le ralliement sans conditions de toute l'extrême gauche, y compris Arlette Laguiller, sur la base du seul anti-sarkozysme - semblait dès lors avoir changé de pied, en adressant des oeillades à un concurrent auparavant dénigré. Du coup, la candidate socialiste a dû en rajouter dans son offre. Elle a commencé avec la proposition d'un débat public à François Bayrou - comme l'avait fait Georges Pompidou, en 1969, quand il avait négocié en direct à la radio le ralliement du centriste Jacques Duhamel face au candidat du centre Alain Poher -, elle a poursuivi en listant des thèmes de convergence : « la rénovation de la vie publique » ; « l'Etat impartial » ; « le refus des tensions dans les banlieues » ; « la relance de l'Europe » ; les « priorités éducatives et écologiques ».
 
Comme pour mieux affirmer, une fois encore, sa liberté vis-à-vis du PS, elle est allée plus loin encore, ne se bornant pas à mettre en avant Jacques Delors et Dominique Strauss-Kahn, mais envisageant de compléter son pacte présidentiel, voire en cas de ralliement de François Bayrou d'inclure l'UDF, avec ministres à la clé, dans une majorité « arc en ciel ». La moisson n'est pas si maigre. M. Bayrou ne s'est pas rallié. Mais il a critiqué sévèrement M. Sarkozy et il a accepté un débat public. S'il a lieu, Ségolène Royal aura réussi un joli coup. Et elle aura surtout, au-delà de la sempiternelle ouverture au centre - présente dans l'imaginaire socialiste depuis que François Mitterrand a, en 1988, au nom de la « France unie », fait entrer, par débauchages individuels, des ministres centristes dans le gouvernement Rocard - relancé la question de la conversion sociale-démocrate du PS.

UNE GAUCHE DANS LE VIDE

Un big bang social-démocrate ? Depuis 1971 et le congrès d'Epinay, quand François Mitterrand s'alliait au PCF pour mieux lui enlever ses électeurs, le PS est décrit comme incapable de faire son aggiornamento. A la différence du SPD allemand, en 1959, qui avait choisi ce lieu pour rompre avec le marxisme, il n'a pas fait son Bad Godesberg.

Mais il n'a pas cessé de poser des jalons dans cette voie. Dans sa déclaration de principes, qui date du congrès de Rennes de 1990, « il met le réformisme au service des espérances révolutionnaires » et s'inscrit « dans la démarche historique du socialisme démocratique ». Propulsé premier secrétaire au lendemain de la Berezina législative de 1993, M. Rocard préconise un « big bang » pour sortir la gauche de son « champ de ruines » et refonder le PS. Quatorze mois après, il est, à son tour, débarqué. Le 1er décembre 2004, en ratifiant à une large majorité, lors d'un référendum interne, le oui à la Constitution européenne, le PS amplifie sa conversion à l'économie de marché, amorcée dès 1983. Mais il se déchire tout au long de 2005.

Ces occasions manquées ont préparé le terrain. Si un nouveau « big bang » social-démocrate ne peut pas s'improviser entre deux tours d'une élection présidentielle, il apparaît inéluctable à la lumière de la situation politique, pour trois raisons. En premier lieu, le PS ne peut plus rester isolé en Europe alors que la totalité des partis socialistes européens, certains depuis l'origine, sont convertis à la social-démocratie. En second lieu, il règne en maître sur une gauche qui flotte dans le vide. Il n'a plus de partenaires. Avec 1,93 % - le plus mauvais score de son histoire électorale -, Marie-George Buffet a signé la fin du PC ou, selon sa propre expression, son « affaiblissement dans la durée ». Avec 1,57 % - juste au-dessus du 1,3 % de l'écologiste René Dumont en 1974 -, Dominique Voynet ne peut prétendre faire des Verts un parti allié de substitution. Plutôt que de choisir une voie à l'allemande - avec un parti unique à la gauche du SPD -, la gauche radicale, avec un total de 7,07 %, s'est émiettée et... aujourd'hui volatilisée.

Si Ségolène Royal est élue, avec quelle majorité gouvernera-t-elle en juin ? Elle ne pourra pas s'enfermer dans une alliance avec Jean-Pierre Chevènement et les radicaux de gauche. La troisième raison de cette inéluctable conversion sociale-démocrate est dans la démarche de Mme Royal. A chaque fois qu'elle brise un tabou, un dogme - sur la sécurité et « l'ordre juste », le rôle de l'Etat, le travail et le refus de l'assistance, les 35 heures, la primauté de la négociation et la démocratie sociale, l'école, la famille -, elle sème un petit caillou. Avec sa liberté de candidate, elle esquisse une synthèse entre François Mitterrand et Tony Blair, le social-libéralisme et l'altermondialisme.

Au-delà de la relève générationnelle, et féminine, qu'elle incarne, elle a impulsé une autre pratique, qui se veut plus participative et citoyenne, de la politique. De surcroît, elle a réussi sur l'Europe à réconcilier les partisans du oui et du non qui s'étaient divisés lors du référendum de 2005. Ainsi, tous les ingrédients permettant au PS d'assumer sa social-démocratie réformiste sont réunis. Quel que soit le verdict du 6 mai, il ne pourra pas se contenter de revenir à la case départ.

Michel Noblecourt

Publié dans BIG BANG

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