Quel que soit le verdict du 6 mai, le PS ne pourra pas se contenter de revenir à la case départ (Le Monde, 27/04/2007)
UNE GAUCHE DANS LE VIDE
Un big bang social-démocrate ? Depuis 1971 et le congrès d'Epinay, quand François Mitterrand s'alliait au PCF pour mieux lui enlever ses électeurs, le PS est décrit comme incapable de faire son aggiornamento. A la différence du SPD allemand, en 1959, qui avait choisi ce lieu pour rompre avec le marxisme, il n'a pas fait son Bad Godesberg.
Mais il n'a pas cessé de poser des jalons dans cette voie. Dans sa déclaration de principes, qui date du congrès de Rennes de 1990, « il met le réformisme au service des espérances révolutionnaires » et s'inscrit « dans la démarche historique du socialisme démocratique ». Propulsé premier secrétaire au lendemain de la Berezina législative de 1993, M. Rocard préconise un « big bang » pour sortir la gauche de son « champ de ruines » et refonder le PS. Quatorze mois après, il est, à son tour, débarqué. Le 1er décembre 2004, en ratifiant à une large majorité, lors d'un référendum interne, le oui à la Constitution européenne, le PS amplifie sa conversion à l'économie de marché, amorcée dès 1983. Mais il se déchire tout au long de 2005.
Ces occasions manquées ont préparé le terrain. Si un nouveau « big bang » social-démocrate ne peut pas s'improviser entre deux tours d'une élection présidentielle, il apparaît inéluctable à la lumière de la situation politique, pour trois raisons. En premier lieu, le PS ne peut plus rester isolé en Europe alors que la totalité des partis socialistes européens, certains depuis l'origine, sont convertis à la social-démocratie. En second lieu, il règne en maître sur une gauche qui flotte dans le vide. Il n'a plus de partenaires. Avec 1,93 % - le plus mauvais score de son histoire électorale -, Marie-George Buffet a signé la fin du PC ou, selon sa propre expression, son « affaiblissement dans la durée ». Avec 1,57 % - juste au-dessus du 1,3 % de l'écologiste René Dumont en 1974 -, Dominique Voynet ne peut prétendre faire des Verts un parti allié de substitution. Plutôt que de choisir une voie à l'allemande - avec un parti unique à la gauche du SPD -, la gauche radicale, avec un total de 7,07 %, s'est émiettée et... aujourd'hui volatilisée.
Si Ségolène Royal est élue, avec quelle majorité gouvernera-t-elle en juin ? Elle ne pourra pas s'enfermer dans une alliance avec Jean-Pierre Chevènement et les radicaux de gauche. La troisième raison de cette inéluctable conversion sociale-démocrate est dans la démarche de Mme Royal. A chaque fois qu'elle brise un tabou, un dogme - sur la sécurité et « l'ordre juste », le rôle de l'Etat, le travail et le refus de l'assistance, les 35 heures, la primauté de la négociation et la démocratie sociale, l'école, la famille -, elle sème un petit caillou. Avec sa liberté de candidate, elle esquisse une synthèse entre François Mitterrand et Tony Blair, le social-libéralisme et l'altermondialisme.
Au-delà de la relève générationnelle, et féminine, qu'elle incarne, elle a impulsé une autre pratique, qui se veut plus participative et citoyenne, de la politique. De surcroît, elle a réussi sur l'Europe à réconcilier les partisans du oui et du non qui s'étaient divisés lors du référendum de 2005. Ainsi, tous les ingrédients permettant au PS d'assumer sa social-démocratie réformiste sont réunis. Quel que soit le verdict du 6 mai, il ne pourra pas se contenter de revenir à la case départ.