L'enveloppe de 74 milliards d’euros a été rognée, par souci d’économie, de 20 milliards d’euros. De quel côté de l’Atlantique, l’avion «vert» décollera-t-il le premier ? (L'Usine nouvelle, 29/12/2006)

Publié le par François Alex

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Distancée par les Etats-Unis et le Japon, l’Europe n’a pas dit son dernier mot en matière de recherche et d’innovation. A partir de 2007, elle engagera 54 milliards d’euros sur sept ans pour financer le 7e PCRD. Suffisant?

Imaginer l’impossible et le créer. Pourquoi pas d’ici à 2020 ? Comme lancer dans le ciel un avion «vert », silencieux, ne rejetant pas d’effluents et recyclable. Redonner la vue ou l’audition à l’aide de bio-implants, faire basculer l’industrie des semi-conducteurs dans l’univers de la nano-électronique ou encore concevoir le procédé de fabrication de l’acier le plus économe en rejets de CO2 dans l’atmosphère. Science-fiction? Pas vraiment. Ces pistes seront explorées par le 7e programme-cadre de recherche et développement (PCRD).

L’Europe s’apprête en effet à mobiliser des moyens inégalés sur le Vieux Continent pour donner un grand coup de fouet à sa recherche et prouver au reste du monde qu’elle ne doit pas être enterrée trop tôt. Un sacré défi! Dans son rapport annuel sur la croissance et l’emploi pour 2007, publié le 12 décembre, la Commission a officialisé un secret de Polichinelle: l’objectif d’investir 3% du PIB européen dans la R&D d’ici à 2010 ne sera pas tenu.

Le 7e programme-cadre arrive au bon moment pour donner le change. Il injectera 54 milliards d’euros sur sept ans (2007-2013) pour stimuler la matière grise européenne dans l’industrie, les centres de recherche et techniques, les labos universitaires, les PME… Le Conseil européen, qui regroupe tous les Etats membres, s'est réuni à trois reprises du 18 au 21 décembre dernier  pour l’adopter. Il sera officiellement lancé le 7 mars 2007 à Bruxelles. Mais dès le 22 décembre 2006, la Commission a publié une quarantaine d’appels à propositions dans les technologies de l’information (TIC), l’environnement, la santé, l’énergie, les transports... Les industriels et les centres de recherche auront jusqu’en avril 2007 pour déposer des projets sur l’un de ces thèmes avec l’espoir de décrocher un financement communautaire. D’autres appels à propositions suivront. «Rien qu’en 2007, nous présenterons une vingtaine de projets. Autant que pendant tout le 6e PCRD», s’impatiente Françoise Bonnet-Lecomte, la responsable des contrats internationaux du Centre technique des industries mécaniques (Cetim), qui agira comme chef de file de PME de la mécanique dans différents projets (nanomatériaux, environnement...).

Avec un budget en hausse de 40%, le 7e PCRD est le mieux doté et sur une plus longue période... ce qui n’est pas pour déplaire aux industriels. «C’est extrêmement positif, nous pouvons inscrire nos efforts dans un plus long terme», se réjouit Valérie Guénon,  la responsable des programmes de recherche européens du groupe Safran. Même enthousiasme chez Dassault Aviation. «Sans les différents PCRD auxquels nous avons participé, il est clair que certains projets n’auraient pas pu voir le jour», confie Gérard Poirier, le responsable des partenariats à la direction R&D de l’avionneur.

Cet intérêt renouvelé ne doit rien au hasard. «La Commission montre une réelle volonté de répondre aux préoccupations et aux besoins des industriels», observe Pascal Bradu, chargé de mission auprès du directeur de recherche de l’Ecole polytechnique. Place au pragmatisme. Plus qu’avant, le programme veut transformer les résultats scientifiques qu’il financera en produits, procédés et services nouveaux. Et améliorer de ce fait la compétitivité des entreprises européennes, pousser la croissance et créer des emplois à forte valeur ajoutée.

Car l’Europe n’a plus le choix. Redoubler d’efforts en matière de R&D est une question de survie. Elle est distancée par les Etats-Unis et le Japon et en passe d’être rattrapée par la Chine et l’Inde. En 2004, l’Europe des 25 a consacré près de 200 milliards d’euros à la recherche pendant que les Etats-Unis déboursaient 250 milliards et le Japon 120 milliards. Mais, alors que la part du PIB européen consacrée à la R&D stagne à 1,9%, elle tutoie les 3% au Japon et atteint 2,7% aux Etats-Unis. Et selon l’OCDE, la Chine dépensera plus que l’Europe dès 2010 si rien n’est fait !

Pour relancer l’Europe, la Commission pactise avec les industriels. Le programme «Coopération» du 7e PCRD, avec 32,4 milliard d’euros, est le plus imposant. Basé sur la recherche collaborative, il réunit dix secteurs clés. «C’est le plus grand programme de recherche en coopération dans le monde», note Alain Quévreux, chef du service Europe de l’Association nationale de recherche technologique (ANRT).

A l’honneur, les TIC, la santé, les nanotechnologies/matériaux et les transports, aéronautique inclue. Le budget des trois premiers triple par rapport au 6e programme-cadre. Signe que l’Europe ne veut rien lâcher, l’espace, associé auparavant à l’aéronautique, devient un axe de recherche à part entière avec un budget de 1,4 milliard d’euros sur sept ans. Et avec un montant identique, la sécurité (des Etats, des infrastructures, des frontières et des individus) fait son entrée.

15% du budget réservés aux PME

Les industriels ont participé à ces évolutions comme à la réflexion sur les premiers appels à propositions lancés par Bruxelles. Leur rédaction a fait des allers-retours informels entre la Commission et les Etats membres depuis le début de l’année. «Tout n’est pas joué d’avance», rassure Catherine Larrieu, la directrice de la recherche et des programmes européens d’Oséo Anvar. Rebaptisée Oséo Innovation au 1er janvier 2007, l’agence est, pour les PME françaises, la porte d’entrée dans le 7e PCRD. Déjà, la Commission a réservé 15% du budget du programme-cadre aux PME. Et selon Oséo, il drainera chaque année 100 millions d’euros d’aides à la R&D vers les PME françaises. L’organisme s’est fixé l’objectif d’en épauler 300 par an durant le PCRD.

Saupoudrages? «Je réfute totalement cette critique d’émiettement», dénonce Denis Ranque, le P-DG de Thales, dont la R&D s’est internationalisée grâce aux programmes-cadres. C’est d’ailleurs l’objectif principal. «Nous avons constitué un réseau de partenaires grâce au PCRD, témoigne Valérie Guénon, de Safran. Sans lui, nous n’aurions peut-être jamais travaillé avec le DLR, l’institut allemand de recherche dans l’aéronautique.» Mais tout n’est pas toujours idyllique. «Il y a trop d’acteurs et il faut toujours obtenir un consensus. Il n’y a donc jamais d’idées révolutionnaires qui ressortent des PCRD. A la différence des Etats-Unis, où les trois constructeurs automobiles se mettent plus facilement d’accord dans ce genre de programme», juge Pierre Beuzit, l’ex-directeur de la recherche de Renault.

Certes, le 7e programme-cadre ne fera pas trembler à lui seul les Américains. Avec un budget annuel de 6,7 milliards d’euros par an (contre 5 milliards pour le 6e PCRD), il ne représentera que 7% de la R&D publique européenne. Avec l’appui de l’industrie, Bruxelles a cependant trouvé une parade pour gonfler ses budgets grâce aux initiatives technologiques conjointes (JTI – Joint Technology Initiatives). «C’est la réponse européenne aux gros programmes de recherche des Etats-Unis», explique Eric Papon, le directeur général d’Arttic, un cabinet qui aide depuis 1987 les entreprises à répondre aux appels à propositions.

Plusieurs centaines de millions d’euros par projet

Financées par des partenariats public/privé, les JTI seront dotées chacune de plusieurs centaines de millions d’euros. Six domaines, financés à 50% par le 7e PCRD, ont été retenus: l’avion propre (Clean Sky), les systèmes intelligents embarqués (Artémis), la nanoélectronique (Eniac), les médicaments innovants (IMI), le satellite d’observation de la terre et de sécurité (GMES) et les piles à combustibles (HFP). L’UE devrait apporter 800 millions d’euros à l’avion propre. Et contribuer pour moitié aux 440 millions nécessaires sur  sept ans à IMI. Les JTI sont nées du travail des Plates-formes echniques européennes (PTE). Il en existe une trentaine (ferroviaire, techniques de production, environnement, acier…) qui réunissent les acteurs d’un même secteur pour identifier les technologies clés. Sorte de forums des parties prenantes, elles sont regroupées dans des «agendas de recherches stratégiques» qui ont abouti aux six premières JTI. D’autres viendront, même si elles font l’objet d’affrontements en coulisses. Le groupe pharmaceutique français Sanofi-Aventis est absent d’IMI… parce que ses concurrents – le suisse Novartis et le britannique GlaxoSmithKline– en sont à l’origine.

L’Europe réussira-t-elle son pari de doper la recherche avec le 7e PCRD ? Rien n’est gagné. Si le budget monte en flèche, il s’étalera sur sept ans au lieu de quatre, comptera dix Etats  de plus et davantage de programmes à financer! Pour tenir la dragée haute aux Etats-Unis et au Japon, la Commission prévoyait au départ une enveloppe de 74 milliards d’euros. Elle a été rognée, par souci d’économie, de 20 milliards d’euros par le Parlement et le Conseil au fil des négociations. De quel côté de l’Atlantique, l’avion «vert» décollera-t-il le premier ?

Vendredi 29 Décembre 2006

Jean-Michel Meyer et Camille Chandès, avec la rédaction

@ Rédaction L'Usine Nouvelle

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