Pour sa part, la Commission entend présenter prochainement un Livre vert sur la modernisation du droit du travail qui devrait donner un élan dans le sens de la « flexicurité »

Publié le par François Alex

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Vladimír Špidla

Membre de la Commission européenne responsable de l’emploi, des affaires sociales et de l’égalité des chances

Le modèle social européen: un vœu pieu ou une réalité?
Europäische Akademie Berlin
Berlin, 11 Mai 2006

Vladimír Špidla

Membre de la Commission européenne responsable de l’emploi, des affaires sociales et de l’égalité des chances



Le modèle social européen: un vœu pieu ou une réalité?





Europäische Akademie Berlin
Berlin, 11 Mai 2006

Mesdames, Messieurs,

Je me réjouis de pouvoir prendre la parole devant la Europäische Akademie et j’adresse mes remerciements au Professeur Stratenschulte et aux chaînes ARD et ZDF, pour leur invitation.

Nombre d'entre vous vont participer à ce débat public en qualité de journaliste, de personnalité politique ou de fonctionnaire. C’est pourquoi je me félicite de pouvoir partager avec vous aujourd’hui les idées qui sont les miennes sur le modèle social européen.

Le modèle social européen – un voeu pieu ou une réalité?

Remarquons tout d’abord que depuis les non français et néerlandais au référendum de l’an passé, les questions sociales reviennent en force sur l’avant-scène européenne. La présidence britannique de l’UE a même organisé, en octobre dernier, un sommet extraordinaire à Hampton Court sur le sujet. Et lors du sommet de printemps qui s’est tenu en mars, les chefs d’état et de gouvernement ont souligné la nécessité de « préserver le modèle social européen ».

Il semble donc que ce soit une réalité, tant il est vrai que l’on ne peut préserver que ce qui existe déjà.

Souvent, on a la tentation de recourir à des comparaisons entre ce que l’on a et ce qu’ont les autres pour faire ressortir les différences. Mais, à y regarder de plus près, ces comparaisons ne tiennent pas. Ainsi, les dépenses sociales des États-Unis d’Amérique, par exemple, sont elles aussi élevées que celles du Danemark. Mais l’efficacité est tout autre. C’est pourquoi je considère qu’il est préférable de définir « notre » modèle social de façon positive.

Il est aujourd’hui communément admis – comme j’en avais toujours eu le présentiment – que le modèle social européen repose sur des valeurs communes. Le facteur principal c’est la cohésion sociale. Il n’existe bien évidemment aucun pays européen qui ne s’emploie à lutter activement contre la pauvreté et à stigmatiser toute ghettoïsation.

En Europe, nous défendons l’accès universel aux systèmes sociaux. En cas d’accident, les pauvres bénéficient fondamentalement du même traitement que les riches.

Tout un chacun a accès au système éducatif, selon ses aptitudes. Ici aussi, l’argent ne joue aucun rôle. Le principe de l’égalité des chances et de la non-discrimination prévaut. Bien entendu, l’État doit assurer une offre de base, que les établissements privés peuvent valablement compléter. Attendre un engagement de l’État qui irait au-delà de l’offre de base relèverait bien évidemment du vœu pieu.

Les États membres de l’Union européenne ont mis en œuvre ces valeurs et ces idées de manières diverses, selon les traditions qui sont les leurs. Les 25 États membres se différencient à travers l’organisation et le financement de leurs systèmes de protection sociale et de leurs politiques de l’emploi, ou encore en fonction de la place qu’occupe le dialogue social entre les employeurs et les travailleurs.

La Grande-Bretagne, par exemple, a institué le National Health Service alors que l’Allemagne fonctionne sur la base d’un système de caisses. Dans certains pays, les écoles accueillent les enfants toute la journée, dans d’autres on a établi un système de garde, et d’autres pays feraient bien de suivre des cours de rattrapage.

Chaque système à ses points forts et ses points faibles mais, dans l’ensemble, l’orientation commune est claire.

Et s’il existe une opinion publique européenne, celle-ci s’est vraisemblablement forgée autour de l’idée que l’Europe ne peut avoir d’avenir que si elle se modernise et réforme fondamentalement ses systèmes d’assurance sociale. Sur ce plan les médias jouent un rôle décisif et le plus souvent positif. Il n’existe probablement aucun pays d’Europe qui ne soit actuellement engagé dans des processus de réforme, auxquels, du reste, les populations n’apportent pas toujours leur concours.

Les réformes sont toujours douloureuses et il n’est jamais facile d’en faire comprendre le bien-fondé. En tant qu’ex-premier ministre tchèque, je sais de quoi je parle.

En République tchèque, nous n’avons pour ainsi dire rien fait d’autre que de mettre en œuvre des réformes depuis 1989 : celle du système des pensions, des soins de santé, du système scolaire, des transports urbains, des télécommunications, ou encore celle du marché du logement. En fait, aucun domaine n’a échappé à cette vague de réformes. Nous sommes même passés du système militaire obligatoire à une armée de métier en un an seulement.

Partout en Europe, les efforts de réformes portent leurs fruits, quoiqu’encore modestes. En Europe, le chômage recule lentement, le taux d’emploi s’accroît, même si nous sommes encore 5 points de pourcentage en deçà de l’objectif de Lisbonne (70%). Il n’empêche que depuis l’élargissement 2 millions d’emplois nouveaux ont été créés (dont 900 000 rien qu’en Espagne).

L’heure est maintenant venue pour chaque pays de mettre en œuvre les plans de réformes nationaux auxquels ils se sont obligés. En l’occurrence, il faut être clair : ne rien faire c’est reculer.

L’Allemagne s’est engagée en particulier à lutter contre le chômage des jeunes. La promotion de l’emploi des travailleurs âgés et l’intégration des migrants dans le marché de l’emploi figurent également parmi les objectifs du programme de réforme national. Enfin, le gouvernement fédéral a annoncé pour l’automne des propositions concernant un modèle de salaire combiné. Je sais que sur ce thème vous menez un débat difficile et important, et j’espère que des propositions concrètes en sortiront prochainement.

Les Européens vieillissent de plus en plus. Dans le même temps, on observe une chute des taux de natalité dans tous les États membres. Cette situation ne sera pas sans conséquences pour nos systèmes sociaux et de pensions, mais aussi pour le potentiel de croissance de nos économies. La réduction du nombre de personnes aptes au travail en Europe pourrait se traduire, d’ici 2040, par une diminution de moitié du taux actuel de croissance économique de l’UE, qui tomberait ainsi à environ 1,25%.

Faisant allusion aux déficits des caisses publiques, aux mutations démographiques et à la concurrence effrénée qui sévit au niveau mondial, on me demande souvent si je crois que mes enfants pourront encore bénéficier du modèle social actuel. Ma réponse est clairement : OUI ! Ils n’en profiteront pas moins, mais autrement.

- « Autrement » cela signifie, par exemple, que ce que nous examinons aujourd’hui avec les États membres sous le vocable de « flexicurité » c’est le fait de faciliter le passage d’un emploi à un autre, c’est la sécurité de l’emploi et non l’assurance de garder le même emploi. Ce concept recouvre plusieurs dimensions de la politique sociale et de l’emploi : un droit du travail moderne, y compris la formation des salaires, des formes modernes de protection du travail, le dialogue social, la sécurité sociale et l’accès aux mesures de formation permanente et à la formation et l’éducation tout au long de la vie. Pour sa part, la Commission entend présenter prochainement un Livre vert sur la modernisation du droit du travail qui devrait donner un élan dans le sens de la « flexicurité ».

- Nous devons poursuivre avec cohérence la réforme des systèmes de protection sociale nationaux. D’une part, ceux-ci doivent garantir des prestations appropriées et, d’autre part, s’avérer financièrement soutenables. Concrètement, cela implique, par exemple en ce qui concerne les pensions, qu'il faut limiter les préretraites et relever l’âge effectif du départ en retraite. En outre, il nous faut adapter les systèmes d’offres de soins de santé et de soins de longue durée aux mutations démographiques. L’objectif poursuivi consiste à concilier un accès généralisé aux soins de santé et des possibilités de financement à long terme.

- Nous devons améliorer le taux d’activité des groupes cibles qui se heurtent à de grosses difficultés sur le marché de l’emploi. Ceci vaut principalement pour les jeunes, les travailleurs âgés, les migrants et les personnes handicapées.

- L’éducation qu’avait suivie mon grand père lui a suffi à mener sa vie professionnelle toute entière. Actuellement, nombre d’entre nous doivent veiller à l’actualisation permanente de leurs compétences. Pour cela, il faut mettre en place des systèmes de formation et d’éducation tout au long de la vie et investir dans la formation générale et professionnelle.

Quel peut-être en l’espèce la contribution de l’UE ?

À titre d’exemple, le Fonds social européen accorde son concours à des projets de formation et de recyclage, de développement des ressources humaines, de promotion des moyens d’existence ou d’insertion des personnes défavorisées dans la vie professionnelle. En Allemagne de l’Est plus précisément, le fonds a accordé des aides importantes ces dernières années, notamment en faveur des jeunes, des femmes ou encore pour promouvoir des projets novateurs de formation et d’éducation tout au long de la vie.

La Commission a proposé récemment l’établissement d’un fonds européen d’ajustement à la mondialisation. Le but sera d’aider les personnes ayant perdu leur emploi par suite de restructurations dictées par la mondialisation à réintégrer le marché de l'emploi - et non, comme on le prétend parfois ici, à maintenir artificiellement en vie des entreprises en déclin.

Notre communication de la fin du mois d’avril sur les services sociaux d’intérêt général aborde une question qui avait été laissée de côté dans la proposition de modification de la directive services : nous entendons créer un cadre juridique inamovible pour des services tels que la garde d’enfants, les logements sociaux ou les services de soins.

Une autre initiative importante concerne la portabilité des pensions professionnelles. Nous ne pouvons pas d’une part exiger souplesse et mobilité des travailleurs et leur refuser en même temps la jouissance pleine de leurs droits lorsqu’ils changent d’emploi.

Mesdames et Messieurs,

J’espère vous avoir démontré que le modèle social européen existe bel et bien. Permettez-moi encore de vous livrer quelques réflexions sur l'avenir de l'Europe:

L’Europe devrait s’engager dans des projets « visibles » pour tous et montrant clairement que l’Europe se préoccupe des citoyens. Un bon exemple est celui du règlement sur les droits des passagers aériens qui oblige les compagnies aériennes, entre autres, à accorder une réparation en cas de surréservation. Pour citer un autre exemple, je voudrais évoquer notre initiative visant à limiter les tarifs des services d’itinérance internationale appliqués par les fournisseurs de communications téléphoniques mobiles.

Enfin, je voudrais encore mentionner la carte d’assurance européenne qui permet à tout citoyen européen qui contracte une maladie à l’occasion d’un voyage dans un autre pays de l’UE, d’obtenir le même traitement que celui réservé aux ressortissants de l’État membre dans lequel il se déplace.

Un tout autre domaine dans lequel l’Europe aurait dû assurer une « fonction de protection » claire est celui de la crise ouverte par les caricatures. Selon moi, il aurait fallu se ranger immédiatement et résolument aux côtés du Danemark. Parce que l'Europe c'est cela aussi: sans l'UE, la France, le Portugal ou la Pologne ne se seraient pas sentis obligés d'apporter leur soutien au Danemark. Mais au sein de l’Union, on se doit de faire corps les uns avec les autres ainsi qu’avec les citoyens – aussi bien vers l’intérieur que vers l’extérieur.

En fin de compte, ce dont il s’agit, c’est de défendre plus positivement les intérêts de l’Europe. L’Europe apporte son concours dans la maîtrise de la globalisation, dans la lutte contre le terrorisme et le crime organisé et dans la création d’emplois.

Il faut voir l’élargissement de façon plus positive et aussi – et cela vaut entre autres pour vous – mieux communiquer à ce sujet. La semaine dernière, mon collègue Joaquin Almunia a publié une étude sur les conséquences économiques de l’élargissement dont il ressort que, contrairement à l’opinion répandue, seul 1,5 % de toutes les pertes d’emplois sont imputables à des délocalisations d’entreprises. Par contre, des milliers d’emplois nouveaux ont pu être créés en Autriche, par exemple, grâce à l’élargissement.

Permettez-moi de faire encore une petite remarque sur la libre circulation des travailleurs. On n’a pas assisté – et on assistera pas - à des migrations en masse de travailleurs en Europe. Le niveau de vie s'élève dans les nouveaux États membres et il y a de plus en plus d'emplois. Je comprends les appréhensions des gens - en particulier en Allemagne de l’Est où sévit un chômage très important – mais les travailleurs qui recourent à la mobilité quittent le lieu où ils vivaient jusque là pour trouver du travail. Ils ne se rendent pas dans des endroits où le chômage est déjà élevé mais plutôt là où leurs capacités et leur force de travail sont demandées. L’exemple de la Grande-Bretagne montre que des goulots d’étranglement ont pu être éliminés dans de nombreux secteurs du marché de l’emploi, ce qui a permis la création de nouveaux emplois dans d’autres secteurs. Le marché de l’emploi allemand n’est pas menacé par les travailleurs polonais ou tchèques qui, depuis l’élargissement, ont obtenu 500 000 autorisations de travail. La véritable cause du dumping social c’est le travail au noir, qui est généré, entre autres, par le fait que les marchés de l’emploi sont fermés aux citoyens des nouveaux États membres. Il faut combattre le travail au noir et j’espère pouvoir présenter cette année encore une étude à ce sujet. C’est une erreur que de considérer que le travail est une valeur fixe qui peut être redistribué autrement. Le travail a un potentiel de croissance !

Mesdames et Messieurs,

J’en arrive à la conclusion en me reportant au titre de l’allocution que j’ai prononcée ce soir : je suis parfaitement convaincu que le modèle social européen est une réalité. Et je suis tout autant convaincu que cela vaut la peine de défendre ce modèle social.

Il s’inscrira dans la durée ou demeurera un vœu pieu selon que nous seront capables ou non d’engager des réformes de grande envergure et de manière résolue. Nous avons le droit d’être impatients.

Dans le contexte de la mondialisation actuelle, l’Union européenne a rarement été mise davantage en question. Mais nous avons aussi rarement eu plus besoin d’elle!

Je vous remercie.

Publié dans FLEXICURITE

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