"En trois phrases, elle s'est fait entendre des couches populaires qui ne nous écoutaient plus", soutient Patrick Mennucci. (LM, 28/09/06)

Publié le par François Alex

Son nom n'apparaît même pas sur le carton d'invitation envoyé par Jean-Noël Guérini, président du conseil général des Bouches-du-Rhône, et Eugène Caselli, patron de la fédération socialiste du département, pour le premier grand meeting de campagne de Ségolène Royal, vendredi 29 septembre, à Vitrolles. Depuis sept mois, Patrick Mennucci est pourtant le bateleur de la candidate socialiste favorite des sondages.
 
Tout à la fois garde du corps, loueur de voitures, guide spécialisé des baronnies socialistes, il est, dit-il, "celui qui ouvre les portes" et "cela (lui) va très bien". Il a ouvert celles des fédérations socialistes à Ségolène Royal et commencé en parallèle, le 9 septembre à Caen, une tournée solitaire pour expliquer aux militants le principe de l'"adhésion Royal" : "On ne fait pas un courant, on soutient une candidate."


AFP/PATRICK VALASSERIS
Le conseiller de Ségolène Royal, Patrick Mennucci, à Marseille en juin 2002.

Avec son 1,85 mètre et ses 100 kilos, Patrick Mennucci ne passe pas inaperçu. Du Chili, où il a accompagné Ségolène Royal au mois de février, aux Fêtes de la rose bretonne ou ariégeoise de septembre, son visage rond apparaît sur toutes les photos, à l'arrière-plan de la candidate. Cette suite de pérégrinations ininterrompues lui a valu le surnom, lancé dit-on par le maire UMP de Marseille, de "Ségolin". A sa massive stature devenue familière s'ajoute une voix tonitruante aux accents chantants du Vieux-Port.

Avec un haut-le-coeur, des responsables socialistes racontent encore le dîner de clôture de l'université d'été du PS, à La Rochelle, fin août, lorsqu'à la table des présidentiables "Ségolin", assis à côté de "Ségolène", appelait au rassemblement à sa façon : "Allez, y aura à manger pour tout le monde !"

Un mois plus tard, sa diatribe contre "l'école du vice", le Mouvement des jeunes socialistes (MJS) ainsi qualifié pour chercher des noises à Ségolène Royal, a failli lui coûter cher. Jugé "trop impulsif" par la candidate, il ne devait plus s'occuper que des déplacements. Mais le vice-président du conseil régional de Provence-Alpes-Côte-d'Azur n'aime guère être pris pour un simple tour-opérateur. "Etre un bon organisateur, plaide-t-il, c'est être capable de savoir s'il faut une Vel Satis ou un Espace pour un déplacement et de parler politique à la présidente du Chili ou au directeur de cabinet du président du conseil général de l'Aude."

C'est sa compétence, fondée sur une connaissance encyclopédique de la tradition orale du PS, qui a fait de cet enfant né dans le sérail socialiste marseillais un directeur de campagne recherché. S'il s'est aujourd'hui un peu brouillé avec son président de région Michel Vauzelle, celui-ci ne tarissait pas d'éloges à son propos lors de sa campagne de 2004. Et quand, la même année, Michel Rocard fut désigné tête de liste de l'insaisissable circonscription sud-est pour les européennes, on fit encore appel à lui pour guider, avec succès, l'ancien premier ministre des tribunes de l'OM à la tombe de l'incontournable Gaston Defferre.

Pour cette "connaissance intime" du parti, vantée par François Hollande, Ségolène Royal s'est décidée à son tour à faire appel à lui après le test du Chili, puis, au mois de mars, une première réunion publique ratée à Arras, dans le Pas-de-Calais.

Curieux attelage que celui d'une candidate prompte à bousculer les habitudes des caciques du parti pour soigner son image de "rénovatrice", avec un homme qui en sait un bout sur les manoeuvres d'appareil. Petit-fils d'immigré de Toscane, Patrick Mennucci a grandi dans le quartier historique d'implantation italienne, la Cabucelle, non loin d'une certaine famille Livi - celle d'Yves Montand. Son père, ouvrier, communiste, successivement employé dans une huilerie, une cimenterie et les docks de Marseille, devint le protégé de l'influent député Andrieux, chauffeur de taxi et par la même occasion membre enthousiaste de la SFIO. Sa mère est déjà socialiste. Le fils unique suit sans broncher le chemin familial : à 14 ans, il a sa carte. Depuis, Patrick Mennucci a gravi tous les étages. D'abord à "l'école du vice", le Mouvement des jeunes socialistes, puis à la MNEF, avant d'être élu pour la première fois adjoint au maire de Vitrolles en 1977, et enfin à Marseille en 1983. Redevenu "simple militant", entre 1989 et 1995, il ouvre un garage Renault à la Timone, mais repart de plus belle dans les batailles socialistes en rejoignant le courant Gauche socialiste cofondé par son ami Julien Dray.

Dix ans plus tard, le voilà président du groupe socialiste à la mairie de Marseille, membre de la direction et du bureau national du PS - où, fait-il remarquer, "il n'y a pas que des perdreaux de l'année" -, installé aux premières loges de la prochaine élection présidentielle. Oublié le sérieux accroc des législatives de 2002 quand, pour cause d'union de la gauche, la fédération des Bouches-du-Rhône du PS soutint contre lui... un candidat communiste.

A l'époque, Patrick Mennucci, animateur local de la Gauche socialiste, affirmait qu'il gênait dans son parti "ceux qui ne pensent qu'à se partager des territoires", c'est-à-dire tous ses chefs. Il s'opposait alors "à la dérive social-démocrate que représenterait un "blairisme" à la française".

Diplômé de Sciences Po à Aix-en-Provence et titulaire d'un DESS de gestion, il tient à rappeler que, dans une fédération peu friande de débats intellectuels, il a toujours "animé les discussions de fond", et s'il s'est rallié au panache de la présidente de Poitou-Charentes, c'est bien "sur des questions de fond".

"En trois phrases, elle s'est fait entendre des couches populaires qui ne nous écoutaient plus", soutient-il, en prenant pour exemple ses propositions sur la sécurité et le traitement des délinquants. Lionel Jospin, pour lequel il a collé tant d'affiches, appartient pour lui à une époque révolue : "Opposer la démocratie représentative à la démocratie participative comme il le fait, c'est idiot."

Aujourd'hui, il se verrait bien député du centre de Marseille, dans l'ancien fief de Gaston Defferre, et supporte de plus en plus mal son image d'homme d'appareil : "J'en ai un peu marre, lance-t-il, qu'on me prenne pour un boeuf."

Dans le monde de "Ségolène", l'ancien pilier de courant, habitué des congrès et des AG, militant du non à la Constitution européenne, tente de gommer ses réflexes, tout en confessant un petit regret : "C'est quand même une équipe où on est souvent seul."

Isabelle Mandraud et Michel Samson
Article paru dans l'édition du 28.09.06
LE MONDE | 27.09.06 | 15h32  •  Mis à jour le 27.09.06 | 15h32
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