Le modèle de dialogue social danois est fondé sur la négociation collective. Il privilégie la recherche d’un compromis entre les partenaires sociaux et fait appel le moins possible au pouvoir législat

Publié le par François Alex

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La “flex-sécurité”, les Français en parlent, les Danois l’ont fait

Conciliant flexibilité pour l’entreprise et sécurité de l’emploi pour les salariés, le système de “ flex-sécurité ” a fait ses preuves au Danemark.

Après le “ modèle hollandais ”, fondé sur le temps partiel, et le “ modèle suédois ”, caractérisé par des avancées en matière d’égalité entre hommes et femmes, voici à présent le “ modèle danois ” et sa “ flex-sécurité ”. Un terme qui renvoie à un concept alliant flexibilité du marché du travail et sécurité de l’emploi. Deux exigences qui correspondent a priori à des intérêts contradictoires, mais que le Danemark a su en partie réconcilier, avec pour principal résultat une baisse radicale du taux de chômage.
Mais attention, ce n’est ni une potion magique, ni un modèle “ clé en main ”. Le concept danois de “ flex-sécurité ” a mis vingt ans pour devenir ce qu’il est aujourd’hui. Et cela au prix d’une longue série de réformes – la première remontant à 1994 et certaines ayant été abandonnées en cours de route – qu’il a pu imposer et qui ont fait leurs preuves.

En quoi consiste-t-il ? Sur le fond, analyse Bernard Gazier, économiste du travail et spécialiste des politiques de l’emploi, il s’agit d’un dispositif qui « s’insère dans un ensemble plus vaste de politiques de l’emploi, qui visent à une “ activation ” à grande échelle du marché du travail, c’est-à-dire à une mobilisation collective en faveur du retour à l’emploi ».

Plus précisément, le système repose sur trois piliers.

Premier pilier : une très grande permissivité à l’égard des employeurs en matière de licenciement, autrement dit une législation non contraignante sur la protection de l’emploi (préavis courts et indemnités minimales) qui favorise la mobilité professionnelle.

Deuxième pilier : une protection sociale très généreuse pouvant aller jusqu’à un taux de remplacement de 90 % pour les salaires les plus bas pendant quatre ans.

Troisième pilier : des politiques de l’emploi actives et très développées qui se fondent sur une logique de droits et de devoirs. « Au bout d’un an de chômage, dans le cadre d’un plan d’action individualisé, le chômeur est tenu d’entrer dans une mesure “ active ” (formation, emploi aidé dans le secteur public ou privé...), et cette contrainte réelle est ressentie comme la contrepartie de droits forts, notamment une indemnisation du chômage longue et généreuse », explique Florence Lefresne, chercheuse à l’Ires (Institut de recherche économiques et sociales). Résultat, un taux de chômage qui est passé de 9,6 % en 1993 à 6,2 % en novembre 2004. Une forte mobilité de la main-d’œuvre : 30 % des salariés changent de poste de travail chaque année même si les Danois restent en moyenne huit ans dans la même entreprise. Et un sentiment général de sécurité, à tous les niveaux de qualification, selon une étude de la Fondation de Dublin datant de 1999. « Les Danois savent simplement qu’ils ont de bonnes chances de retrouver un autre emploi s’ils perdent le leur et qu’on ne les “ laissera pas tomber ” », souligne Bernard Gazier dans son livre Tous sublimes.

80 % de syndiqués. De plus, le Danemark réunit un certain nombre de conditions culturelles, économiques, sociales et politiques pour que la recette ait toutes les chances de réussir : « C’est un petit pays, rappelle Florence Lefresne, ce qui facilite la mobilité et la cohésion, le tissu productif est très dynamique car majoritairement constitué de PME, et le très fort taux de syndicalisation (80 % de la population active) au sein d’une seule organisation syndicale (LO) permet d’associer les partenaires sociaux à la gestion des politiques de l’emploi. » C’est par la négociation que sont donc fixés salaires, durée du travail, règles d’embauche et de licenciement. « Enfin, poursuit la chercheuse, le modèle repose sur des prélèvements obligatoires très élevés. » En effet, comme le souligne le rapport de l’OCDE “ Perspectives de l’emploi 2004 ”, les dépenses publiques danoises s’élèvent à 56,3 % du PIB et les prélèvements obligatoires à 49,8 %. Au début des années 2000, les dépenses publiques en matière de formation professionnelle, par rapport au PIB, y étaient trois fois plus élevées qu’en France et vingt fois plus qu’aux États-Unis.
Alors, “ tarte à la crème ”, “ mirage ” ou “ nouvelle mode ” ? L’avenir le dira sans doute. Bien évidemment, ce système, comme tous les autres, a ses limites, dont celle de ne pas être transposable en l’état.n

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Les chiffres clés de l’économie
Croissance du PIB (2004) : 2%
Taux d’emploi : 75,7%
Taux en équivalent temps plein : 68,4%
Taux d’emploi 55-64 ans : 60%
Taux d’emploi des 14-24 ans : 64%
Taux de chômage : 5,4%
Dépenses publiques pour l’emploi : 1,6% du PIB
Inflation : 0,9%
Taux de syndicalisation : 80%.
Source: Eurostat 2005, année d’observation 2004.


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Les syndicats
Le mouvement syndical danois est composé principalement de trois confédérations de salariés : la Confédération danoise des syndicats (LO) qui fait partie de la Confédération européenne des syndicats, la Confédération danoise des employés et des agents publics (FTF) et la Confédération des diplômés de l’enseignement supérieur (AC). Entre 80 et 85 % des salariés sont inscrits à l’une de ces confédérations par le biais d’une organisation professionnelle. Avec 1,4 million de membres, LO est de loin la plus présente et influente sur la scène économique et sociale du pays. La FTF compte toutefois environ 450 000 membres et l’AC, 200 000.

Le modèle de dialogue social danois est fondé sur la négociation collective. Il privilégie la recherche d’un compromis entre les partenaires sociaux et fait appel le moins possible au pouvoir législatif.

Ce système s’est mis en place au Danemark il y a plus d’un siècle. En 1899, les organisations patronales et syndicales ont signé la Grande Convention dans laquelle ils reconnaissent leurs compétences respectives à régler des conflits sociaux mais aussi plus généralement à organiser le marché du travail. Ce texte reste le socle fondamental du modèle danois.

En règle générale, le Parlement ne cherche pas à s’immiscer dans les conflits sociaux et dans la régulation du marché du travail. Le Code du travail est quasiment inexistant. Ni la teneur des contrats, ni le salaire minimum, ni le temps de travail ne sont fixés par la loi. Depuis les années 80, comme ailleurs en Europe, la négociation sur les salaires et les conditions de travail s’est déplacée vers l’entreprise. Elle reste toutefois encadrée par des accords nationaux. Par ailleurs, sous le gouvernement social-démocrate de Poul Nyrup Rasmussen (1993-2001), le champ de l’action syndicale s’est élargi, notamment aux thèmes de la retraite, du congé parental, de l’égalité professionnelle et de la formation professionnelle tout au long de la vie. Aujourd’hui, l’une des priorités de LO est de favoriser l’entrée sur le marché du travail des étrangers (2 % en 1984, 7,5 % en 2003).


Décryptage
Ce qu’en pense la CFDT
Ce qui intéresse la CFDT dans la “ flex-sécurité ”, ce n’est pas tant le dispositif, applicable dans un contexte danois bien spécifique, mais l’esprit qui l’anime, explique Jean-Claude Meynet, secrétaire confédéral. Un esprit avant tout de responsabilité des acteurs syndicaux et patronaux, qui se manifeste dans un dialogue social visant des résultats pragmatiques. Autrement dit, l’exemple danois nous confirme qu’il ne suffit pas de produire des normes théoriques.
Ce qui importe, c’est la volonté de produire des garanties équilibrées et visibles et des normes nationales ou sectorielles qui s’articulent, dans le cadre du dialogue social, avec les réalités des territoires et des entreprises. Enfin “ l’esprit danois ”, c’est surtout l’unicité des droits pour tous les salariés, et non leur empilement et leur émiettement, comme c’est le cas en France.


Études et rapports
Des tentatives françaises... sur le papier
Plusieurs propositions existent pour adapter le concept de “ flex-sécurité ” au marché du travail français.

Entre 2001 et 2002, le marché du travail français a connu un taux d’entrées et de sorties d’environ 40 %. En 2002, les entreprises ont ainsi embauché ou licencié 5,2 millions de personnes sur un total d’environ 13 millions salariés du secteur privé. Face à l’ampleur de cette insécurité du travail persistante, plusieurs philosophies ou plans d’action s’affrontent. La plupart d’entre eux s’inspirant plus ou moins de l’exemple danois de “ flex-sécurité ”.
Deux rapports – Blanchard et Tirole en 2003 et Cahuc et Kramarz en 2004 – proposent la mise en place d’un contrat unique, à durée indéterminée, assorti d’une suppression des règles de licenciement remplacées alors par des pénalités financières (indemnité pour le salarié et contribution de l’entreprise versée aux pouvoirs publics).
Selon le Cerc (Conseil emploi revenu cohésion sociale), qui vient de publier un rapport, “ La sécurité de l’emploi face aux défis des transformations économiques ”, ce contrat unique apporterait une réponse au besoin de flexibilité des entreprises et pourrait conduire à réduire l’instabilité de salariés embauchés actuellement en CDD. En revanche, il pourrait accroître le risque de licenciement pour d’autres salariés, l’employeur pouvant licencier un ancien salarié « au vu de son rapport qualité-prix, comparé à celui des nouveaux arrivants ».
Le contrat de “ mission ”. La commission De Virville, en 2004, propose quant à elle un contrat temporaire supplémentaire : le contrat de mission, destiné aux cadres. Le personnel recruté sous ce régime le serait pour une durée liée à la mise en œuvre d’un projet déterminé. Quant au ministère de l’Emploi et de la Cohésion sociale, après avoir évoqué un contrat intermédiaire inspiré du rapport de Yazid Sabeg, il a finalement proposé aux partenaires sociaux de négocier la CRP (Convention de reclassement personnalisé) qui s’adresse aux victimes de licenciement économique dans les entreprises de moins de 1 000 salariés. Cette négociation a abouti à un accord fin mai.
Contrat unique, contrat de mission, contrat intermédiaire... Autant de propositions censées sécuriser les parcours professionnels qui, pour l’instant, n’ont pas abouti.


Entretien avec Bernard Gazier *
« Un dispositif typiquement danois »

Au Danemark, quelles conditions ont permis la réussite du système ?
Fondamentalement, si ce système a eu de bons résultats au Danemark, c’est grâce à un mélange de pragmatisme et de concertation sociale qui, là-bas, fait partie de la tradition culturelle. Le Danemark n’a pas dû faire un choix de protection sociale. Ce système s’est fondu dans la tradition. Par ailleurs, cette rencontre entre pragmatisme et dialogue social s’applique à un pays où 80 % de la population active est syndiquée (les chômeurs restent membres à part entière de leur syndicat) et où le tissu productif est largement dominé par les PME. La deuxième condition de réussite est la recherche permanente d’un équilibre “ haut ” entre le contrôle et les opportunités. Contrôle strict et contraignant des demandeurs d’emploi et activation des opportunités d’embauche.

Ce système a aussi montré certaines limites...
En effet, dans un système où l’on reste moins longtemps dans un emploi, le travailleur doit davantage prouver ses compétences et son employabilité. C’est en quelque sorte une mise à l’épreuve permanente. Mais, dans la mesure où les Danois sont assurés soit d’être pris en charge par des dispositifs de protection sociale élevée, soit de retrouver un travail, ils ne sont pas inquiets quant à leur avenir professionnel. Des études récentes l’ont montré. Une deuxième limite est la manière dont sont traitées les personnes qui sont rejetées du marché du travail. En les intégrant dans un programme pour handicapés, on les fige dans un état qui les maintient en dehors de l’activité professionnelle.

(*) Bernard Gazier est spécialiste des politiques de l’emploi, expert auprès du BIT. Son dernier livre, “ Tous Sublimes. Vers un nouveau plein-emploi ” est publié chez Flammarion (2003).

Elisabeth Kulakowska © CFDT (mis en ligne le 8 juin 2005, mis à jour le 19 septembre 2005) 

 

Publié dans FLEXICURITE

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