Réactionnaire ou visionnaire ? Le dessin représente un coq gaulois, les yeux bandés. Légende : "La France affronte l'avenir." (Monde, 31/03/06)

Publié le par LEMONDE.FR | 31.03.06 | 10h48

 
Le dessin représente un coq gaulois, les yeux bandés. Légende : "La France affronte l'avenir." Cette semaine, le magazine britannique The Economist a consacré sa "une" à la bataille du CPE. Avec ce constat, récurrent ces derniers temps dans la presse internationale : "La France semble incapable de s'adapter à un monde en évolution." 

"UN MANQUE D'AMBITION À DONNER LA CHAIR DE POULE"

L'hebdomadaire n'en revient pas : "Selon un sondage étonnant, les trois quarts des jeunes Français voudraient devenir fonctionnaires, essentiellement parce que cela impliquerait 'un emploi à vie'." A en croire The Economist, "derrière ce manque d'ambition à donner la chair de poule se cache un fantasme et un mythe paralysant".

Le fantasme, tout d'abord : croire que "préserver la France en l'état revient à assurer la sécurité de l'emploi". Au contraire ! Si le chômage frôle les 10 %, c'est bien parce que "ces emplois à vie sont si protégés, et donc difficile à suppprimer, que beaucoup d'employeurs n'en créent pas d'autres".

Le "mythe pernicieux", ensuite : supposer que "la France, face à la mondialisation, a plus à perdre qu'à gagner". C'est là "l'échec de la classe politique, depuis vingt ans : expliquer à l'électorat ce qui est en jeu, pourquoi la France a besoin de s'adapter, et pourquoi le changement n'apporterait pas que des inconvénients".

Pour The Economist, c'est à la France de choisir, désormais. "Soit mener un effort audacieux de renouvellement susceptible de réveiller le meilleur dans les Français. Soit défendre, de manière bornée, l'ordre existant qui cantonnera la France au rang de puissance médiocre, à l'économie en déclin. Cette seconde alternative n'inspirerait ni admiration, ni effroi, ni haine, ni indifférence, juste de la pitié", conclut la revue, qui reprend ainsi à son compte le mot de Tocqueville (La France est "la mieux faite pour y devenir tour à tour un objet d'admiration, de haine, de pitié, de terreur, mais jamais d'indifférence", dans L'Ancien régime et la Révolution, 1856).


LE CAPITALISME EN LIGNE DE MIRE

Mercredi, au lendemain de la manifestation monstre du 28 mars, le Wall Street Journal (accès payant) faisait le même constat : ce qui nourrit la constestation, "c'est un mécontentement répandu dans la population, contre le modèle du libre-échange et quelques-uns des piliers de la société moderne". Le correspondant du quotidien à Paris s'était mêlé au cortège des manifestants, et avait visiblement du mal à les prendre au sérieux : il racontait avoir rencontré, outre les opposants au CPE, "des anarchistes, des Kurdes maoïstes, de jeunes hooligans venus des banlieues paupérisées de la capitale, des retraités nostalgiques de l'Union soviétique"... et "un militant anti-bovins", muni d'une pancarte sur laquelle étaient inscrits les mots "Mort aux vaches !" A discuter avec lui, le journaliste comprend que l'homme en a surtout après la police anti-émeute et la mondialisation : "Les Français sont en train de se faire manger à la sauce chinoise. Nous ne pouvons fabriquer, comme les Chinois, des jeans à 2 euros la paire", explique celui-ci.

"On tire sur le capitalisme", acquiesce William Pfaff, chroniqueur à l'International Herald Tribune. Il rapporte les résultats d'un sondage : "74 % des Chinois considéreraient le libre-échange et la libre entreprise comme le meilleur système au monde, contre seulement 36 % des Français." Mais n'est-ce pas justifié ? s'interroge-t-il. On est désormais loin du capitalisme des années 1970, quand "les entreprises avaient le devoir d'assurer le bien-être de leurs employés, et des obligations envers la communauté". Désormais, les actionnaires ont pris le pouvoir et, dans un tel contexte, des mouvements de protestation prennent tout leur sens. Ils montrent "qu'il existe une grosse faille dans la compréhension qu'ont les politiques et les entreprises des conséquences humaines d'un modèle économique qui prend les travailleurs pour une marchandise et qui étend la concurrence sur le prix de cette marchandise au monde entier". Et de conclure : à long terme, "ce qui semble aujourd'hui réactionnaire ou proche du luddisme pourrait s'avérer prophétique."

GÉNÉRATION PRÉCAIRE : UN PROBLÈME EUROPÉEN

Alors qu'est annoncé, pour le samedi 1er avril, la "première manifestation européenne des stagiaires", avec des cortèges à Paris, Berlin ou Bruxelles, entre autres, Die Zeit de Hambourg s'interroge : quelle est cette "génération précaire" ? Et pourquoi descend-elle dans la rue d'abord à Paris ? Les Allemands auraient pourtant de bonnes raisons de se révolter, estime l'hebdomadaire. Outre-Rhin, le chômage est également élevé et la crise de la natalité rend le contrat passé entre générations encore moins équitable : "Nous envoyons aux jeunes des signaux qui pourraient dfficicilement être plus contradictoires. Nous n'avons pas d'emplois sûrs à leur offrir, mais nous leur demandons de faire rapidement beaucoup d'enfants. La société ne leur fait pas de place mais leur demande de résoudre les problèmes de tout le pays."

Die Zeit brosse le portrait d'une génération peu politisée et "pragmatique". Pourquoi se rebeller contre les parents, quand on dépend d'eux de plus en plus longtemps ? Et surtout, chacun espère que cela passera pour soi, que l'on trouvera un emploi. Donc autant ne pas se faire remarquer. Samedi, les jeunes Allemands manifesteront contre l'exploitation des stagiaires avec un masque blanc sur la figure, selon l'exemple pris en France, à la fin de l'année 2005. Tout un symbole, pour Die Zeit.

Marie Bélœil

LEMONDE.FR | 31.03.06 | 10h48  •  Mis à jour le 31.03.06 | 11h18
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article visionné 4 fois le 3 août 2008 (2ème) ; relate un article de The Economist qui se moque de la jeunesse française, à ses yeux trop pantouflarde...
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