Alors que nos industriels arrivent en Chine en ordre dispersé, se tapant les uns sur les autres, les industriels allemands arrivent groupés. (Le Monde, interview Jack Lang, 10/01/2007)

Publié le par François Alex

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Jack Lang : "Nous n'augmenterons pas le taux des prélèvements obligatoires"

 

Vous étiez très critique sur Ségolène Royal et vous voilà désormais son conseiller spécial. Comment avez-vous parcouru ce chemin-là ? 

Je n'ai pas été très critique. J'ai été et je reste différent. Si une alliance amicale nous associe depuis très longtemps, cela fait longtemps que nous coopérons, que nous travaillons ensemble. (...) Pour parler franc, il y a quelques interrogations qui étaient les miennes concernant peut-être la sensibilité particulière qui est la sienne aux enquêtes d'opinion, ou à l'opinion.

Vous voulez dire qu'elle est trop sensible à la communication ?

C'est une question que je me posais. Travaillant avec elle régulièrement aujourd'hui, je m'aperçois à quel point elle n'a pas froid aux yeux. Cela me rassure beaucoup de constater que ses convictions, sa capacité à écouter pas seulement les enquêtes d'opinion, gouvernent ses décisions et sa pensée.

La candidate socialiste n'a-t-elle pas un problème de réservoir de voix pour le second tour, du fait de la faiblesse de l'extrême gauche, de la gauche communiste, des Verts ?

Et si précisément cette situation n'avait pas pour conséquence - c'est mon intuition - de lui permettre d'obtenir au premier tour l'un des meilleurs scores jamais réalisés par le candidat socialiste à l'élection présidentielle ? Et du coup lui donnant le tremplin, la force de l'emporter clairement au deuxième tour.

Croyez-vous encore à une candidature de Jacques Chirac ?

Il serait déraisonnable qu'il soit candidat. Il est président de la République, au-delà de sa personne et de son parti, il porte une fonction. J'imagine mal qu'un président de la République puisse se retrouver à un score trop bas. Et je suis sûr et convaincu que cet homme est assez intelligent pour s'épargner à lui-même et à nous-mêmes une telle mésaventure.

François Hollande a fait part au "Monde" de propositions fiscales qui ont fait frémir les milieux financiers. Est-ce la position de Ségolène Royal ou pas ?

Au vocabulaire près, les propositions que François Hollande a énoncées dans cette interview dans Le Monde (du 19 décembre) sont les mêmes que celles qui figurent dans le projet des socialistes. Nous n'augmenterons pas le taux des prélèvements obligatoires, nous procèderons à un réexamen de l'ensemble de la fiscalité, de la fiscalité locale, de la fiscalité nationale, avec la préoccupation d'une plus grande lisibilité, d'une plus grande justice et d'une plus grande efficacité économique.

Mme Royal est en Chine, un pays dont la puissance économique inquiète l'Europe. Si la gauche l'emporte, militera-t-elle pour un protectionnisme européen ?

Je vous réponds non. Je suis favorable à une offensive industrielle, technologique, scientifique. Et ce n'est pas par des barrières de papier ou des barrières juridiques que l'on préserve une économie. C'est en lui donnant du tonus, de la force, en innovant, en investissant massivement, comme le souhaite Mme Royal, pour la recherche scientifique, dans l'enseignement supérieur. (...) Les entreprises françaises sont incapables - pas toutes - d'investir dans la valeur ajoutée, à la différence des entreprises allemandes. Les entreprises allemandes exportent massivement, car elles ont fait un effort d'innovation technologique. Alors que nos industriels arrivent en Chine en ordre dispersé, se tapant les uns sur les autres, les industriels allemands arrivent groupés.

Quand elle dit que la Chine est un marché capital, cela veut dire qu'il faudra, par exemple sur les "droits humains", lâcher du terrain ?

J'ai toujours pensé qu'on pouvait à la fois établir des relations respectueuses d'Etat à Etat, de pays à pays, de peuple à peuple, sans pour autant renoncer à se battre pour les droits des personnes, pour les droits humains, pour les droits du Tibet, en l'occurrence.

Est-ce que cela suffit de dire qu'il faut respecter la spécificité culturelle du peuple tibétain comme l'a dit Mme Royal ?

C'estce que souhaite le Dalaï-Lama. Il ne demande plus depuis plusieurs années l'indépendance du Tibet, mais la reconnaissance de sa singularité culturelle et religieuse. Ségolène s'est fait, de ce point de vue, le porte-parole du Dalaï-Lama.

Est-ce que cela vous choque que Jacques Chirac veuille nommer Jean-Louis Debré, un de ses amis politiques, à la tête du Conseil constitutionnel ?

C'est la tradition de ce système. François Mitterrand avait nommé Roland Dumas, par conséquent, je serais mal placé pour en faire le reproche au président actuel. En revanche, j'espère que, dans le programme présidentiel, ce que nous avons proposé sera inclus : la transformation complète du système de nomination des membres du Conseil constitutionnel. A l'image de la Cour allemande, les membres de ce Conseil seraient élus par les 3/5 du Parlement. Même chose d'ailleurs pour le Conseil supérieur de l'audiovisuel.

Est-ce dans la nature de Ségolène Royal d'être aussi tranchante qu'elle a pu paraître dans certaines occasions ?

Je crois qu'elle peut être une lame d'acier au service de ses convictions. (...) L'élection de Ségolène Royal à la tête de l'Etat sera une sorte d'électrochoc psychologique et politique.

Propos recueillis par Raphaëlle Bacqué, Thomas Hugues et Stéphane Paoli
Article paru dans l'édition du 10.01.07.
LE MONDE | 09.01.07 | 14h28  •  Mis à jour le 09.01.07 | 14h28

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