Ségolène Royal affirme croire à l’expertise citoyenne et elle la théorise. Pour rétablir la confiance, dit-elle, il faut d’abord identifier ce que pensent et ce à quoi aspirent les vraies gens

Publié le par François Alex

L’empêcheuse de tourner en rond

par Robert Schneider

L’ascension surprise de Ségolène Royal heurte les ambitions présidentielles des éléphants du PS.

Challenges.fr | 13.04.2006

Ah, si Ségolène Royal n’était pas là ! C’est la complainte des autres présidentiables du PS. Tout serait tellement plus facile, plus convenu. Laurent Fabius pourrait dire : « C’est mon tour ! C’est moi qui possède le plus d’expérience du pouvoir. Et je suis le mieux placé pour rassembler toute la gauche après la victoire du non que j’ai préconisé au référendum. » Dominique Strauss-Kahn pourrait rappeler qu’il a, le premier, théorisé une approche nouvelle de la social-­démocratie et montré son savoir-faire à Bercy. Jack Lang pourrait s’appuyer sur son statut de star. Il est bien plus populaire que Fabius ou Strauss-Kahn. Il a notamment la meilleure image chez les jeunes et dans les classes populaires. François Hollande pourrait arguer du fait qu’il est depuis près de dix ans le patron du parti et que, dans la plupart des autres démocraties européennes, il serait automatiquement le candidat.

 
Lionel Jospin apparaîtrait comme le mieux placé pour battre la droite puisqu’il est, après Ségolène Royal, le plus performant dans les intentions de vote pour la présidentielle. Ses amis s’activeraient pour constituer les comités de soutien et lancer des appels à sa candidature.

Mais Ségolène est là, et rien ne se passe comme prévu. Le match Fabius - Strauss-Kahn se joue devant des banquettes vides. Lang a du mal à convaincre qu’il sera candidat jusqu’au bout. Jospin est forcé de continuer d’attendre. Hollande, depuis que sa compagne caracole, se retrouve dans une situation inédite et délicate. Tous sont scotchés dans les starting-blocks et contraints d’assister, impuissants, à l’ascension de la candidate surprise. Car pendant ce temps-là, sa popularité est au zénith. Malheur à celui qui tenterait de casser cet élan. Il redonne espoir aux électeurs de gauche : elle est la seule qui devance désormais Nicolas Sarkozy dans les intentions de vote pour 2007.

Phénomène contagieux
Au départ, les éléphants du PS ne se sont pas trop inquiétés. Phénomène médiatique, ont-ils tranché. Et donc éphémère. Peut-être ! Mais il dure et devient contagieux. Les militants eux aussi deviennent « royalistes ». A Privas, une terre de mission, elle fait salle comble. Et le candidat aux cantonales qu’elle est venue soutenir est élu. A Marseille, Jean-Noël Guérini, le patron de la puissante fédération des Bouches-du-Rhône, l’accueille en grande pompe. Les lec­teurs de La Provence qui interviewent Madame la présidente de Poitou-Charentes se lèvent pour l’applaudir. Pierre Mauroy, dans le Nord, Daniel Percheron, dans le Pas-de-Calais, constatent, étonnés, que chez eux aussi les ralliements se multiplient. Si les militants désignaient leur candidat demain, elle l’emporterait, affirment les meilleurs connaisseurs de la vie interne du parti. Les autres présidentiables en sont réduits à attendre qu’elle commette une faute, qu’elle apporte elle-même la preuve de son inexpé­rience, de sa méconnaissance de certains dossiers. Bref, qu’elle démontre qu’elle n’a pas la stature présidentielle.

Habileté remarquable
Pour l’heure, elle fait preuve d’une remarquable habileté. Elle est réactive : elle a été la première présidente de Région à refuser de subventionner les entreprises qui auraient recours à des emplois précaires, CPE ou CNE. Elle joue collectif en participant à des réunions sur le projet socialiste. Moderne, elle devait publier un livre d’entretiens au printemps. Trop tôt, a-t-elle jugé. Et trop conventionnel. Elle le diffuse donc, chapitre par chapitre, sur le Net. C’est une première en politique : un livre en chantier, enrichi par les propositions des internautes et qui paraîtra en septembre. En pleine crise du CPE, Ségolène Royal affirme croire à l’expertise citoyenne et elle la théorise. Pour rétablir la confiance, dit-elle, il faut d’abord identifier ce que pensent et ce à quoi aspirent les « vrais gens ». En un mot, associer les citoyens à la constitution de l’intérêt général. D’abord, dresser le constat de ce qui marche et de ce qui ne marche pas, et ensuite, faire des propositions. On connaîtra les siennes en septembre, après le projet socialiste rendu public en juin. Si le gouvernement avait procédé ainsi, il n’aurait pas braqué la jeunesse, dit-elle.
Jusque-là elle n’offrira guère de prise à la critique. Puis ce sera l’heure de vérité. Si elle devait chuter lors de la campagne interne, ses rivaux déclarés – Fabius, Strauss-Kahn, Lang, dont la pré-campagne aura été éclipsée par l’effet Ségolène – ne ­seraient pas les mieux placés pour en profiter. La tentative de renouveau qu’elle aura incarnée ayant échoué, les militants socialistes se retourneront alors sûrement vers celui qui a incarné le pouvoir pendant cinq ans et qui possède, de l’avis même de ses adversaires, la stature d’un ­homme d’Etat : Lionel Jospin.


Elle devant, et eux derrière…

Ségolène Royal
SEPTEMBRE 2005 : 72 %
MARS 2006 : 91 %

Dominique Strauss-Kahn

SEPTEMBRE 2005 : 57 %
MARS 2006 : 63 %

Laurent Fabius

SEPTEMBRE 2005 : 46 %
MARS 2006 : 50 %

Les sympathisants socialistes plébiscitent Ségolène Royal très loin devant DSK ou Laurent Fabius.

Source : Ipsos

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
O
Merci pour l'article. Une pub l'évoquait dans le Monde et ça m'avait intrigué.
Répondre