Le CPE est mort sur une équivoque : voulu comme un instrument supplémentaire d'accès à l'emploi pour une certaine catégorie de jeunes, il a été perçu comme un dispositif qui augmenterait l'incertitude

Publié le par François Alex

Le CPE est mort. Vive le C... ! [ 04/04/06 ]
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FRANÇOIS EWALD

Le CPE est mort. L'ouvrage est à nouveau sur le métier parlementaire... et syndical. On n'en a pas fini avec la volonté de libéraliser le contrat de travail, de le rendre « flexible ». Derrière le CNE et le CPE, il y a la réforme du CDI. Tout cela procède de la même logique de flexibilité, imposée par la mondialisation, avec le grand « reengineering » social qui consiste à ce que l'entreprise porte de moins en moins les risques du salariat. Il y a eu, avec le Code civil, le « contrat de louage de services » ; il y a, depuis la fin du XIXe siècle, le « contrat de travail » ; on est entré dans l'ère d'un nouveau type de contrat. Il n'est pas dénué de protections, mais celles-ci sont externalisées sur le salarié et sur l'Etat : « flexisécurité ».

La révolution est considérable. La Révolution française abolit corporations et jurandes. L'ouvrier est libre de vendre sa force de travail sur un marché libre ; il lui appartient d'être prévoyant, de se constituer une épargne qui le protège contre les risques d'une existence précaire. Il est responsable de ce qui lui arrive sans pouvoir en reporter la charge sur un autre. On oublie que cette situation pouvait profiter aux ouvriers qui s'étaient organisés pour rendre le marché du travail mobile et faire ainsi monter le prix de leur engagement. De fait, au long du XIXe siècle, on n'eut de cesse de transformer cette mobilité en sédentarité : d'abord par des mesures policières (le fameux livret ouvrier), ensuite par une pratique de management patronal basée sur la loyauté d'engagements réciproques : le patron prend sur lui l'ensemble des risques de ses employés dans la mesure où ceux-ci se dévouent à son service. C'est cette figure du contrat qui sera légalisée à la fin du XIXe siècle sous le nom de « contrat de travail ». Sa construction, avec la volonté de limiter l'arbitraire patronal dans l'attribution des prestations promises, s'est accompagnée de nombreuses luttes sociales et de la naissance du syndicalisme, de l'intervention de l'Etat et de la naissance d'un régime de valeurs. C'est cette figure, qui, mondialisation oblige, devient inadaptée.

On comprend que la révolution sociale en cours puisse susciter quelques résistances, surtout qu'au lieu d'être intégrée à une nouvelle vision de l'avenir des institutions sociales, elle s'accompagne d'une rhétorique de stigmatisation de ceux qui doutent ou s'opposent. Ce seraient des peureux qui ne concevraient l'existence que protégés. Sans doute parmi les jeunes qui manifestent y en a-t-il qui ont la nostalgie d'un passé révolu. Mais la plupart d'entre eux savent qu'à l'avenir il leur faudra d'abord compter sur eux-mêmes. Les manifestations anti-CPE sont moins l'expression du refus de cette condition que son assomption. Comme le notent certains observateurs étrangers - Richard Sennett (Londres-New York), Axel Honneth (Francfort) - les résistances françaises sont des résistances dans la mondialisation et non contre la mondialisation, elles visent moins à restaurer le passé qu'à organiser la nouvelle condition sociale. Le CPE est mort sur une équivoque : voulu comme un instrument supplémentaire d'accès à l'emploi pour une certaine catégorie de jeunes, il a été perçu comme un dispositif qui augmenterait l'incertitude des jeunes face à un marché du travail par ailleurs difficile et les laisserait sans défense face aux abus auxquels le CPE pourrait donner lieu. C'est moins la précarité qui est en cause que les conditions de son organisation.

On peut regretter que le processus de « refondation sociale » engagé par le Medef sous le premier mandat d'Ernest-Antoine Seillière ait été interrompu. Face à l'imposition par le haut des 35 heures, mettant hors jeu la représentation sociale des salariés et des employeurs, face à la volonté de l'Etat d'administrer l'entreprise, le patronat est entré en résistance sur un programme de négociation sociale devant permettre la reconstitution de la société civile, comme acteur légitime de la nouvelle organisation du travail. On se souvient que les premiers accords, qui portaient sur le chômage, ont alors été sabotés par le pouvoir politique. L'ampleur des transformations sociales en oeuvre font qu'elles ne peuvent résulter que d'une reconfiguration de la société civile. C'est elle qu'il convient de mobiliser et d'organiser pour qu'elle assume les choix nécessaires faisant apparaître les conditions du nouveau monde. Cela implique que le rôle des pouvoirs publics est moins de légiférer dans l'urgence que d'organiser les conditions d'une représentation sociale capable d'assumer et de rendre lisible le changement.

Le système social que nous sommes en train de quitter s'est construit selon deux paramètres : tous les pays industrialisés en partageaient la philosophie ; mais, en même temps, chacun s'attachait à lui trouver une forme organisationnelle qui lui soit propre et lui donne un avantage comparatif sur les autres. Dans ce contexte, les Français ont fait le choix de la mutualité. On est dans une situation comparable. La nouvelle vision d'une économie mondialisée est partagée par tous ; il appartient à chacun non pas de copier ce qui se fait chez les autres, mais de trouver la traduction institutionnelle qui, à la fois, corresponde au génie de son peuple et lui donne un avantage par rapport aux autres. C'est cette deuxième dimension de la comparaison géopolitique qui manque aujourd'hui en France. Elle nous prive de l'idée que nous ne sommes pas seulement dépendants de la mondialisation, mais que celle-ci nous convoque à être nous-mêmes.

FRANÇOIS EWALD est professeur au Conservatoire national des arts et métiers.



Publié dans MODELE SOCIAL FRANCAIS

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