Le débat du Zénith, à Paris, jeudi 26 octobre, marque un tournant par l'abandon de la courtoisie jusque-là de rigueur entre les candidats et, surtout, entre leurs partisans (Le Monde, 28/10/2006)

Publié le par François Alex

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Le test des primaires "à la française", par Patrick Jarreau

Introduire dans le système politique français des élections "primaires", à la mode américaine, est une vieille idée. Elle est apparue d'abord à droite, en 1993, quand Charles Pasqua défendait - vainement - le projet d'organiser un tel vote parmi les électeurs de ce qui était alors le RPR (néogaulliste) et l'UDF (centriste et libéral), pour départager Jacques Chirac et Edouard Balladur, avec l'arrière-pensée que lui-même, populaire comme il l'était alors, les mettrait d'accord en les devançant.
 
A gauche, le Parti socialiste a inscrit dans ses statuts, en 1994, la désignation de son candidat à l'élection présidentielle par l'ensemble des adhérents. C'est ainsi que Lionel Jospin a pu prendre, en 1995, l'avantage sur Henri Emmanuelli, premier secrétaire, soutenu par les courants qui formaient alors la majorité du parti. Même limité aux militants, ce vote avait marqué une première étape dans la sortie du fonctionnement traditionnel des partis, en tout cas celui du PS, avec ses élus, ses chefs de courant et ses écuries présidentielles.

Mais le vrai début des primaires à la française datera, incontestablement, de l'actuelle campagne pour la nomination du candidat socialiste en 2007. Pour la première fois, la définition de ce que les spécialistes appellent l'"offre" politique, de ce côté-là en tout cas, ne dépend pas exclusivement des caciques des partis. Au-delà du principe, la comparaison avec les Etats-Unis est sans objet, mais certaines similitudes de surface ne sont pas inintéressantes. On observe au travers des débats télévisés un processus de comparaison (des individus) et de décantation (des programmes) qui ressemble à ce que produisent, outre-Atlantique, les campagnes successives que les candidats à la nomination, au Parti démocrate ou au Parti républicain, mènent d'Etat en Etat au cours d'un processus de désignation étalé, là-bas, sur plusieurs mois.

Le premier débat, le 17 octobre, a mis en évidence le positionnement des trois concurrents : première gauche pour Laurent Fabius, très deuxième gauche pour Dominique Strauss-Kahn - qui retrouvait jusqu'à certaines intonations de Michel Rocard -, résolument ailleurs pour Ségolène Royal. Du débat interne de Clermont-Ferrand, le 19 octobre, pas grand-chose n'a transparu à l'extérieur.

Celui du Zénith, à Paris, jeudi 26 octobre, marque un tournant par l'abandon de la courtoisie jusque-là de rigueur entre les candidats et, surtout, entre leurs partisans.

Les "jurys citoyens" proposés par Ségolène Royal, pour contrôler l'action des élus suscitent partout des discussions. Ils intéressent tout le spectre politique, de l'extrême droite à l'extrême gauche, puisque tout le monde subit l'usure du système représentatif, le décalage entre les attentes des groupes sociaux et les décisions des assemblées et des exécutifs qu'elles soutiennent, le soupçon général que les élus cherchent leur propre avantage avant celui des citoyens qu'ils font profession de servir. Démagogie ? Le sentiment populaire peut être erroné, mais ne pas le prendre au sérieux n'est pas le plus sûr moyen de le détromper.

Cette mise au banc d'essai des hommes et des idées fait la valeur des primaires socialistes. Sans doute peut-on regretter qu'elles soient arbitrées pour le moment par les sondages et par l'opinion - autrement dit par les journalistes - et que, à l'heure du vote, seuls les adhérents du parti (ou, plus précisément, la majorité d'entre eux) soient admis à se prononcer, plutôt que les sympathisants, comme en Italie, ou les électeurs qui choisissent un parti, comme aux Etats-Unis.

Mais cette sélection publique du candidat et cette mise à l'épreuve des propositions, à ciel ouvert, donnent au PS, dans la prise en compte de la demande de démocratie, une avance à laquelle ses concurrents feraient bien de réfléchir.

LE MONDE | 27.10.06 | 13h56  •  Mis à jour le 27.10.06 | 13h56
Patrick Jarreau
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