France et pays nordiques : écoutons les différences!

Publié le par François Alex

 Marianne 2007.info

 

 

Par Alain Lefebvre, Expert en relations du travail. Vit à Stockholm. Dernier ouvrage paru : «Faut-il brûler le modèle social français ?», aux éditions du Seuil.

Les ministres français sont énarques, médecins, avocats, parfois enseignants? Les gouvernements nordiques comprennent un nombre surprenant d'ouvriers, de peintres en bâtiment, d'employés de bureau, d'infirmières, de travailleurs sociaux?

Lorsque l'on observe de Stockholm la politique française, le plus frappant n'est pas la différence de culture entre politiciens nordiques et politiciens français. Encore qu'elle existe : les nôtres ont fait l'ENA et pas les nordiques. Pour prendre l'exemple des ministres, les français sont énarques, médecins, avocats, parfois enseignants, c'est-à-dire qu'ils viennent des catégories supérieures, au moins par l'éducation. Les gouvernements nordiques comprennent un nombre surprenant, pour nous, de gens normaux, d'ouvriers, de peintres en bâtiment, d'employés de bureau, d'infirmières, de travailleurs sociaux, qui pour la plupart ont fait leurs classes dans les écoles des syndicats ou sur le terrain. Pourtant, au final, le résultat n'est pas trop mauvais : la croissance « exceptionnelle » obtenue par nos inspecteurs des finances français, à 2,5 % en 2006, est bien loin des 4 à 5 % qui sont le lot des dirigeants nordiques. Un peu curieux, quand même.

Autre différence notable : le vocabulaire. Certes, on dort à peu près autant pendant les débats nordiques (entre nous, surtout en Suède) que pendant les débats politiques français. C'était d'ailleurs un des reproches faits à Göran Persson, social démocrate de gauche qui a perdu les élections face à M. Reinfeldt, social démocrate de droite, beaucoup plus jeune et, il faut le dire, moins grognon. Pourtant, Göran était meilleur pour haranguer les foules (je le sais, j'y étais) que dans les débats. Mais il y a une différence avec nos politiciens : faute de l'éducation idoine, les politiciens nordiques sont compréhensibles. Ils parlent comme tout le monde, et à part une partie des immigrés, tout le monde peut les comprendre. Il faut dire qu'ils parlent beaucoup de vie quotidienne, et peu des grandes affaires du monde : lors de la récente élection en Suède, personne n'a réellement parlé d'Europe, d'alignement ou non sur les USA ou de modèle social européen, ni même de force tranquille, d´ordre juste, de fracture sociale ou de rupture, mais beaucoup du temps qu'il faut pour avoir un rendez-vous chez certains spécialistes, ou des salaires insuffisants, ou du fait que beaucoup de suédois ne sont pas chômeurs, mais ne sont pas au travail pour autant, et que c'est autant de pauvres. Ce serait un bon sujet en France, d'ailleurs, on en reparlera.

Les Suédois sont aussi assez surpris de voir autant de femmes qui vont participer chez nous à la présidentielle, et peut-être même la gagner : Ségolène Royal, Marie-Georges Buffet, Michèle Alliot-Marie et j'en passe, voilà qui fascine des suédois féministes, mais peu enclins pour le moment à confier les clés du pouvoir suprême aux femmes, ni d'ailleurs la direction des entreprises. Cela explique un intérêt soutenu des médias pour Ségolène Royal, qui de plus semble s'intéresser aux pays nordiques. Il est vrai qu'ils ont l'habitude d'être parfois traités par nos dirigeants avec la condescendance due aux « petits pays », et donc l'attitude de la précandidate socialiste les change. Cela étant, il y a plusieurs années que les finlandais ont une présidente, et notre situation ne présente pas pour eux le même attrait. Quand elle a été élue, une amie finlandaise m'a dit : « Ahtisaari (le président précédent, un homme), sera le dernier homme président en Finlande, parce que les femmes ont plus les pieds sur terre et sont meilleures en communication ». Je n'y crois pas, mes copains finlandais vont reprendre le pouvoir, mais je passe le message, au cas où.

Non, la plus grosse différence est que les candidats français ont la peur au ventre : ils se comportent comme si la moindre déclaration, la plus petite opinion, risquait de les mettre en danger. Je sais, pour en avoir côtoyé certains et non des moindres, qu'ils ont des idées originales, des choses à dire, des propositions audacieuses, dont les français sont finalement privés. Il est vrai que la presse attend que Nicolas Sarkozy dérape ou que Ségolène Royal fasse la proposition de trop, parce que c´est plus marrant. D´accord, j´aime aussi rire, mais regardez où cela nous a conduit aux dernières élections, avec Jean-Marie. Plus sérieusement, le résultat est que nous les poussons à se contrôler, à éviter tout ce qui serait une révolution, une rupture, et à embaucher comme Nicolas Sarkozy deux co-rédacteurs de discours, l'un gaulliste social et spécialiste de fractures sociales, l´autre libérale pur sucre, histoire d´éviter l´originalité qui tue. Ceux qui se plaignent du discours parfois prudent et donc peu enthousiasmant de nos politiciens d´élite seront les premiers à se jeter sur le candidat qui aura « dérapé », c´est à dire qui aura fait preuve de courage et donné son opinion. Alors, je vais faire quelques propositions nordiques pour les encourager, en me limitant aux deux candidats de renouvellement, Ségolène et Nicolas, car ils nous sont devenus assez familiers, finalement :

Pour Nicolas, sur l´immigration, le discours qui a fait le succès du premier ministre danois: annoncer que l´on va remettre tous les étrangers au travail avant d´en accepter d´autres, pour cela les obliger à faire un stage d´un an en entreprise ou en collectivité locale pour conserver leur RMI (certes de 60 à 100 % de plus qu´en France) avec cours de français sur le lieu de travail, organiser des foires à l´emploi réservées aux immigrés au chômage où des employeurs publics et privés viennent proposer des postes vacants, créer des aides spéciales et des réseaux de soutien pour les chefs d´entreprise ethniques (curieusement, on a montré que les PME créées par les danois ethniques sont plus solides, se développent plus vite et exportent beaucoup plus que celles créées par les danois d´origine)?

Pour Ségolène, sur la décentralisation, encore une recette d´inspiration danoise qui a fait réélire un gouvernement : en finir avec l´enchevêtrement de compétences, donner aux communes les compétences sociales, l´éducation, la protection de l´environnement et la santé primaire, avec un financement local et une péréquation pour assurer l´égalité, revoir la taille des communes pour qu´elles fassent au moins 30 000 habitants (soit un bassin d´emploi ou un « pays » en France), supprimer les départements, donner aux régions la compétence sanitaire, supprimer les services déconcentrés sociaux et sanitaires, décentraliser aux partenaires sociaux au plan régional et local la politique de l´emploi avec des crédits du niveau national, donner un pouvoir d´investigation sans limite aux citoyens et aux médias sur toutes les dépenses et activités publiques, renforcer les pouvoirs et surtout les moyens des chambres régionales des comptes en supprimant le contrôle à priori de la dépense?.

Malheureusement, on n´est pas près de voir cela se produire, n´est-ce pas ? Et pourtant, les français préfèrent aujourd´hui le discours de changement de nos deux trublions Nicolas et Ségolène (qui a dit Pimprenelle ?) à celui de leurs rassurants collègues de l´ancienne école. Cela donne à penser, et de nombreux observateurs considèrent que si Al Gore s´était lâché sur l´environnement ou John Kerry sur l´Irak, le monde serait différent, sans Georges Bush? Il ne faut pas partir la peur au ventre, mes amis.

Je promets d´être plus sérieux la prochaine fois ?


 

Lundi 23 Octobre 2006
Alain Lefebvre
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Publié dans MODELES NORDIQUES

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