Ségolène Royal doit réfléchir à ses erreurs et corriger ses propres défauts si elle veut réussir en 2012 (Raphaëlle Bacqué, Le Monde, 09/05/2007)
L’intégralité du débat avec Dans un chat au Monde.fr, mercredi 9 mai, Raphaëlle Bacqué, grand reporter au "Monde" et co-auteur avec Ariane Chemin, grand reporter au même quotidien, revient sur les raisons de la défaites de Ségolène Royal, à l’occasion de la parution prochaine d’un ouvrage sur la campagne de la candidate socialiste., mercredi 9 mai, à 9 h 30.
XX : Que pensez-vous de son discours du 22 avril au soir ? N’a-t-elle pas aussi perdu là ?
Raphaëlle Bacqué : Le discours du 22 avril au soir était mal préparé et mal dit. Etonnamment, alors que Nicolas Sarkozy avait préparé son discours de soir de premier tour depuis la veille, Ségolène Royal s’y est attelée trop tard, avec ses conseillères Sophie Bouchet-Petersen et Natalie Rastoin. Cependant, si l’on regarde les résultats eux-mêmes, le retard de Mme Royal était déjà important : plus de cinq points. Ce discours n’a sans doute pas convaincu, mais elle avait déjà un gros handicap à rattraper.
PITCH : Est-il vrai que Ségolène Royal ait décidé de se porter à la candidature en réaction à une infidélité amoureuse de François Hollande ?
Raphaëlle Bacqué : Ségolène Royal a toujours eu une ambition politique, bien légitime, et une vraie popularité. Mais elle s’était jusque-là souvent effacée devant son compagnon, en tout cas pour ce qui concerne la présidentielle. Ce que nous racontons, dans notre enquête, c’est qu’en effet un conflit conjugal, comme il en existe dans beaucoup de couples, l’a d’une certaine façon libérée de ses réserves d’antan. Déçue sur le plan privé, elle a choisi de partir à la bataille sans plus se préoccuper de François Hollande mais aussi en faisant un constat : elle était plus populaire que lui, et il n’avait pas su rénover le PS malgré l’aspiration des militants et des électeurs socialistes.
sanchomill : Je suis belge et ici, nous avons été sidérés par le très piètre niveau général de la candidate socialiste, tant sur la forme que sur le fond. Utiliser le mot "incompétence" à son égard ne choque d’ailleurs aucun de mes compatriotes, homme ou femme. L’erreur du PS n’a-t-elle pas été de promouvoir une candidate surfant sur un effet de mode retombé comme un soufflé, plutôt qu’un candidat ayant la stature et la compétence d’un véritable chef d’Etat ?
Raphaëlle Bacqué : Il y avait un problème évident de leadership au PS : personne au fond ne s’imposait. Ni le premier secrétaire François Hollande, ni Dominique Strauss-Kahn, Laurent Fabius ou Jack Lang. Ségolène Royal a donc représenté la nouveauté. Je ne parlerais pas d’incompétence en ce qui la concerne, mais la réalité évidente, que nous montrons par mille détails dans notre enquête, est qu’elle n’était pas prête. Peu expérimentée (elle n’avait occupé que des ministères "sociétaux", famille, éducation, environnement), très mal préparée et partie sans aucun doute trop tard. J’ajoute qu’elle a fait une très grosse erreur stratégique en ne réconciliant pas son camp. En voulant maintenir le PS à l’écart de sa campagne, elle s’est privée de compétences et d’expériences qui l’auraient pourtant grandement aidée dans une compétition de haut niveau comme la présidentielle.
Corto35 : Est-ce que la campagne de Ségolène Royal s’est réellement faite contre l’appareil du Parti socialiste ?
Raphaëlle Bacqué : Oui. Elle a, dans la primaire, rallié la plupart des cadres du PS, notamment les patrons des grandes fédérations. Mais ensuite, elle a sans cesse voulu maintenir le PS à l’écart. Non seulement elle s’est passée de l’apport que pouvait représenter un Strauss-Kahn, qui, sur les questions économiques notamment, aurait pu lui apporter une aide et une légitimité, mais elle a écarté tous les experts du PS. C’est aussi pour cela que la querelle du couple Hollande-Royal a eu de graves conséquences politiques. Ils auraient dû être imbattable : lui à la tête du parti, elle candidate. Au lieu de cela, on a vu deux équipes en incessante compétition. Je n’ai jamais entendu de mots plus durs sur Hollande que dans l’équipe de Ségolène Royal et réciproquement.
Thierry34 : Pensez-vous que Mme Royal va remplacer M. Hollande à la tête du PS ? Pensez-vous qu’elle devrait le faire ?
Raphaëlle Bacqué : C’est une partie difficile qui se joue. Car si elle reste contestée par les "éléphants", ces derniers restent eux-mêmes relativement impopulaires. Elle est donc difficile à contourner. Dimanche soir, son conseiller Julien Dray affirmait qu’elle voulait prendre le parti. Si c’est le cas, elle va trouver face à elle des adversaires coriaces, dont Hollande lui-même. Elle ne dispose pour sa part d’aucun courant. Elle peut en revanche choisir d’incarner l’opposition à l’Assemblée nationale et, encore une fois, de contourner le parti en restant l’opposante dans les médias. Une chose est certaine, cette bataille politique prend un tour particulier du fait du désaccord politique profond entre Royal et Hollande. Hollande veut préserver le parti et sa propre position à sa tête. Elle veut poursuivre sur sa lancée et être la candidate en 2012...
climacus : Depuis janvier, tous les sondages donnaient la candidate battue. Pourquoi rien de significatif n’a-t-il été tenté pour relancer la campagne ?
Raphaëlle Bacqué : Elle a fait effectivement plusieurs erreurs stratégiques. D’abord, elle a sous-estimé la percée de Bayrou et n’a pas voulu voir que s’il montait dans les sondages, c’est aussi parce que le doute sur elle n’était pas levé. Elle a toujours renvoyé les critiques à la misogynie, ce qui était assez habile mais lui a interdit de les prendre en compte. Elle ne voulait pas non plus faire ce qui ressortait pourtant de toutes les enquêtes qualitatives : rappeler Dominique Strauss-Kahn pour incarner au moins le pôle économique de sa campagne. Enfin, elle a cru ardemment à sa victoire et n’a compris que très tard que c’était perdu.
HERO : Y a-t-il eu oui ou non des pressions de la part des proches de Ségolène Royal sur les journalistes pour que sa vie privée ne soit pas évoquée par les médias avant l’élection présidentielle ?
Raphaëlle Bacqué : C’est un sujet passablement tabou en France et tous les médias, d’une certaine façon, n’abordent qu’avec réticence cette question, même lorsque cela a d’évidentes implications politiques. Ce que nous racontons, c’est qu’il y a eu effectivement des pressions très directes sur un hebdomadaire. Le fils aîné de Ségolène Royal, Thomas Hollande, puis son frère Gérard Royal, ancien agent des services secrets, sont directement intervenu auprès de la direction de ce magazine pour faire déplacer une journaliste.
monzul : Pour ma part, l’amateurisme de l’équipe de Mme Royal était flagrant par rapport à celle de l’UMP dans le reportage de M. Moati. Ce n’est qu’un reportage, mais les approximations de Mme Royal lors du débat et tout au long de sa campage l’ont prouvé. Qu’en pensez-vous ?
Raphaëlle Bacqué : C’est tout à fait vrai. Ségolène Royal avait pourtant compris beaucoup de choses sur l’évolution de la société, elle avait fait venir autour d’elle une armée de sociologues et de sondeurs qui l’ont sans cesse renseignée sur l’état de l’opinion. Mais elle n’avait pas une équipe expérimentée sur l’économie (notamment après le départ fracassant d’Eric Besson), et surtout sur la présidentielle. La désorganisation de l’équipe de campagne aura été un fait majeur. Interviews annulées, déplacements improvisés, des centaines de demandes de rendez-vous laissées en souffrance. Face à l’organisation implacable de l’UMP de Sarkozy, le contraste était saisissant.
Julien_Paris : Mme Bacqué, Ségolène Royal a-t-elle prononcé le mot " défaite " depuis dimanche 20 heures ? Si la réponse est non, ne pensez-vous pas que les raisons de sa chute sont son incapacité à reconnaître ses faiblesses et encore plus ses échecs ?
luigi04 : Sa réaction après la défaite (aucune autocritique) et son attitude durant la campagne ne démontrent-elles pas chez Ségolène une incapacité à prendre en compte la réalité, ce qui la discrédite quant à un rôle de premier plan dans le futur ?
Raphaëlle Bacqué : Je crois qu’il s’agit là aussi d’une tactique. Le soir du second tour, cette façon un peu surréaliste de faire la "fête" de la défaite a d’une certaine façon tué dans l’œuf les critiques. Lors de la réunion des dirigeants du parti, mardi, cela a été la même chose. Il a fallu un bon moment de discussion pour savoir si on allait prononcer le mot de défaite. Mais sa façon toute personnelle de ne pas reconnaître les erreurs est aussi une façon efficace de se protéger psychologiquement. Sans doute, un peu plus tard, faudra-t-il qu’elle fasse la véritable analyse de ses propres erreurs. Si elle ne fait pas cette analyse, elle risque fort de ne pas être mieux préparée pour la suite.
mm : Vous dites : "elle a écarté tous les experts". Sur qui s’appuyait-elle donc ? Peut-on faire une campagne présidentielle sans experts ?
Raphaëlle Bacqué : Elle s’est beaucoup appuyée sur les sondages, sur des analyses sociologiques. Il y avait ainsi auprès d’elle un sémiologue, Alain Mergier, auteur d’un livre remarqué, Le Descenseur social, qui a été l’un des architectes de sa campagne et notamment du thème qui est devenu un gimmick : le "donnant/donnant". Elle a aussi beaucoup compté sur les conseils de la publicitaire Natalie Rastoin, experte en marketing, qui lui a notamment imaginé cette campagne, et enfin sur Sophie Bouchet-Petersen, une très imaginative conseillère. Mais cela ne suffit pas. Face à la désorganisation, se sont ensuite greffés Jean-Pierre Chevènement, qui a beaucoup appuyé le côté autoritaire et nationaliste de Ségolène Royal, et, à l’inverse de Bernard-Henri Lévy, qui l’a aidé dans ses interventions médiatiques. Mais cela ne suffit pas à élaborer une ligne. Elle n’avait pas d’experts véritables pour bâtir sa politique fiscale, notamment, ou même pour élaborer sa critique en demi-teinte des 35 heures. Du coup, elle a souvent donné le sentiment de pointer avec justesse les problèmes, mais de ne pas suivre derrière, de ne pas proposer de solutions ou d’analyses plus étayées.
mt : N’y a-t-il rien eu de positif dans cette campagne ? Qu’a-t-elle réussi ?
Raphaëlle Bacqué : Bien sûr que si ! D’abord, elle a ré-intéressé l’électorat de gauche, lui a redonné de l’espoir et c’est beaucoup. Dans ces meetings, une vraie ferveur s’est souvent exprimée que l’on n’avait pas vue depuis François Mitterrand. Son absence de tabou politique, notamment dans l’entre-deux-tours, lors de sa tentative d’ouverture au centre, aura fait progresser le PS dans sa réflexion sur les alliances et son tournant éventuel vers la social-démocratie. Enfin, elle a montré qu’une femme pouvait arriver au deuxième tour de la présidentielle en France. De ce point de vue, c’est une petite révolution
mikelou : Ségolène Royal n’est-elle pas plus proche de Bayrou que du PS ?
Raphaëlle Bacqué : Non, je ne dirais pas cela. Elle a beaucoup de références, notamment sur l’économie et les services publics, qui sont très typiquement de gauche. Mais c’est le PS tout entier qui doit s’interroger sur ses alliances et sa ligne. Avec un PC qui disparaît et une extrême gauche affaiblie, doit-il encore courir sur sa gauche ? Doit-il prendre le chemin de la social-démocratie comme les autres socialistes européens ? Enfin, Bayrou est-il capable d’accepter une alliance qui le priverait de sa propre aventure personnelle ? C’est cette recomposition politique qui va être passionnante, ces prochaines années, à gauche. Au fond, Sarkozy a réussi à la mener à droite, la gauche doit le faire à son tour.
parajanov : Comment résoudre le problème de légitimité évidente au PS depuis le départ de Jospin ?
Raphaëlle Bacqué : L’idée de faire des primaires était une réponse possible et intelligente. Mais ces primaires sont venues trop tard. Le PS doit choisir son candidat trois ou quatre ans avant l’échéance, puis tout le PS doit se mettre à travailler derrière lui. Il faut aussi susciter une nouvelle génération d’élus, faire émerger des personnalités différentes. Il faut enfin rassembler son camp. Mitterrand détestait Rocard et se méfiait de Delors. Mais en 1981, il les avait placés tous deux sur ces affiches de campagne...
Ségotose : A votre avis, comment Ségolène Royal va-t-elle réagir à votre ouvrage ? Quel est, selon vous, son avenir politique ?
Raphaëlle Bacqué : Elle réagira mal, probablement, car elle a voulu maintenir le secret sur sa campagne et notre enquête s’attache à lever une part de ce secret. Notre enquête est pourtant très nuancée, car nous pensons franchement qu’il y avait beaucoup d’intuitions intéressantes et une formidable volonté. Sur son avenir politique, je ne doute pas qu’elle en ait un. Elle est populaire, elle est tenace. Mais elle doit vraiment réfléchir à ses erreurs et corriger ses propres défauts de caractère notamment. Elle va aussi avoir fort à faire avec des adversaires qui la haïssent au sein même du parti et qu’elle n’a pas ménagés. Mais après tout, elle peut parfaitement réussir en 2012...
Chat modéré par Gaïdz Minassian
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De : Raphaëlle Bacqué
vendredi 11 mai 2007
vendredi 11 mai 2007 (11h30) :
Raphaëlle Bacqué : "Ségolène Royal doit réfléchir à ses erreurs et corriger ses propres défauts si elle veut réussir en 2012..."
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