Ce que la société avait compris depuis longtemps, les politiques ont enfin osé le formuler : la France peut s'inspirer de ce qui marche à l'étranger sans risquer de perdre son âme. (Echos, 07/05

Publié le par François Alex

 

La démocratie revit, ne l'abîmez pas !

Un vrai coup de balai. Contre les idées noires, le désenchantement, le fatalisme. La présidentielle de 2007, qui a tenu en haleine les Français pendant plus de quatre mois, restera dans l'histoire comme celle du renouveau démocratique. Participation record des électeurs, sensible recul des extrêmes, qui ne totalisent plus que 20,8 % des suffrages, contre près de 30 % en 2002. Score sans appel du vainqueur, Nicolas Sarkozy. Voilà quelques-uns des indices les plus marquants d'un retour à la confiance qui rompt avec la tendance crépusculaire des quinze dernières années. Mais d'autres signes ne trompent pas : l'affluence record dans les meetings, les records d'audience des émissions télévisées, les bonnes ventes des journaux, les conversations sans fin sur le Net. On croyait les Français fâchés avec la politique ; on redoutait que, scrutin après scrutin, ils utilisent toutes les armes démocratiques à leur disposition - abstention, vote blanc, bulletin nul, vote extrême - pour marquer leur désamour, creuser la crise du politique, cette révolte silencieuse et insidieuse d'un peuple qui désespère de ses représentants. Et les voilà qui se précipitent aux urnes pour marquer leur désir de compter et leur confiance dans l'avenir.

L'élection présidentielle a ceci de bon qu'en quelques mois elle peut radicalement changer le climat d'un pays : de la morosité décliniste, on est passé à l'espoir du sursaut. D'où vient le miracle ?

Il faut là saluer ce qui s'est produit du côté de l'offre : un renouvellement radical, aidé par dame Nature mais favorisé aussi par un vrai travail de fond. 2007 c'est d'abord la revanche des quinquagénaires qui, le temps aidant, sont parvenus à mettre à la retraite ceux qui contrôlaient le jeu depuis des décennies : Jacques Chirac a choisi de s'effacer après quarante ans de vie politique ; Valéry Giscard d'Estaing n'a pas été en mesure de peser dans le match Sarkozy-Bayrou. Et Lionel Jospin n'a rien pu faire pour bloquer le phénomène Royal. Fin d'un cycle. Mais le renouvellement générationnel n'explique pas tout. Le trio qui s'est imposé l'a fait en rompant radicalement avec tout ce qui pouvait le rattacher au passé. Nicolas Sarkozy a construit son ascension sur le thème de la rupture : Ségolène Royal a pulvérisé, en quelques mois, tous les tabous de la gauche, tandis que François Bayrou s'est mis en tête de construire un centre autonome. Pour tous les trois, la prise de risque a été maximale. Le résultat va avec : banco pour le gagnant. Banqueroute pour les deux autres : malgré leur détermination, ils auront d'autant plus de mal à se relever qu'ils ont pris beaucoup de libertés avec leur propre camp.

Plus que sur les propositions, somme toute assez classiques, c'est sur la façon de faire de la politique qu'a porté l'effort de renouvellement. Finis les discours tombés d'en haut, les dogmes intangibles. Place à l'écoute, au pragmatisme, à l'évaluation. Pour renouer le fil avec l'électeur désenchanté, voire carrément en colère, il fallait que soit instruit le procès sans appel de tout ce qui avait contribué à creuser la distance entre le haut et le bas : les promesses sans lendemain, les mesures sans effet, l'incapacité à résoudre et même à nommer certains problèmes, l'autisme d'un pouvoir qui semblait comme emmuré dans son impuissance. Dans les bagages des politiques, les cahiers de doléance et les études sociologiques ont remplacé les textes philosophiques et les références littéraires. On peut le regretter, mais c'était le prix à payer pour remettre les pendules à l'heure et le pays à sa juste place : si la politique internationale a été l'Arlésienne de cette campagne, jamais en revanche les modèles étrangers - nordiques, latins, anglo-saxons - n'ont été autant cités. La flexisécurité à la suédoise a servi de modèle aussi bien à Nicolas Sarkozy qu'à Ségolène Royal ou à François Bayrou. C'est sur l'épopée du self-made-man américain que Nicolas Sarkozy a construit sa campagne, tandis que François Bayrou n'a cessé de vanter les vertus des grandes coalitions à l'allemande ou à l'italienne. Ce que la société avait compris depuis longtemps, les politiques ont enfin osé le formuler : la France peut s'inspirer de ce qui marche à l'étranger sans risquer de perdre son âme.

Cette appropriation collective du réel est très prometteuse pour l'avenir. Ce qui l'est moins, en revanche, c'est le volontarisme forcené qu'ont dû afficher Nicolas Sarkozy aussi bien que Ségolène Royal pour vaincre le scepticisme ambiant. « Je veux, je peux » n'a cessé de proclamer le premier, tandis que la seconde pensait pouvoir, seule contre tous, soulever les montagnes. En même temps qu'ils soldaient l'impuissance de leurs prédécesseurs, voilà qu'à leur tour ils suscitaient d'incroyables attentes ! Mirage de la Ve République dans lequel François Bayrou, plus critique, a refusé de s'engouffrer. Travers d'un système institutionnel qui, certes, donne le pouvoir de faire, permet de vaincre les blocages, mais en même temps valorise à l'excès la puissance individuelle, celle du chef de l'Etat. Or Jacques Attali, qui a longtemps servi de conseiller à François Mitterrand, est formel : le roi est nu. La politique monétaire ? passée à Francfort. La politique industrielle ? réduite à la portion congrue par les privatisations et Bruxelles. Le pouvoir ? dilué dans la globalisation. L'Etat ? concurrencé par la décentralisation et pris à son propre piège : l'excès de lois. « L'Etat est vide, et le prochain président de la République risque de beaucoup décevoir », prédisait-il au début de la campagne. Pour tenter de le contredire, Nicolas Sarkozy a pris tout une série de bonnes résolutions : un nombre réduit de ministres qui seront évalués chaque année et devront « rendre compte » ; des explications très régulières au pays car rien n'a été plus anxiogène que le mutisme de Jacques Chirac ; une stricte évaluation des politiques mises en oeuvre avec correction de tir en cas d'échec et surtout une action rapide, dans la foulée de l'élection. Mais, si forte soit elle, la légitimité du suffrage universel ne lui fera jamais récupérer la réalité d'un pouvoir qui a fui le sommet pour se diluer dans tous les interstices de la société. Si le challenge est bien de remettre en mouvement le pays, l'aspect le plus prometteur de son projet n'est pas dans ce « je veux » volontariste qui l'a conduit à beaucoup promettre. Il est plutôt dans ce « prenez-vous en main » qu'il a implicitement lancé aux électeurs en valorisant tout au long de la campagne la valeur travail.

Pour réussir, le nouveau président devra avant tout être un bon coach.

FRANÇOISE FRESSOZ est éditorialiste aux « Echos ». ffressoz@lesechos.fr http://blogs.lesechos.fr/fressoz

07/05/07