Il est convaincu que la candidate socialiste a opéré son rapprochement avec le centre trop tardivement et dans la précipitation. (Challenges, 10/05/2007)

Publié le par François Alex

Exaucé

Il y pensait même en se rasant.


L'écorché vif de Neuilly a pris de la hauteur et a enfin atteint son Graal : la présidence de la République. Après trente ans de combats politiques, il paraît, pour un moment, apaisé. Récit d'une métamorphose.


Il a sa roche de Solutré, son coin de terre, son refuge. Ce territoire symbolique qui fait qu'un homme vient de quelque part, qui l'accroche à la terre, à ses racines. Il avait bataillé pendant trente ans, tout osé, les trahisons, les coups bas, les coups de génie, les exils, les résurrections, mais jamais il n'avait trouvé un endroit où poser sa frénésie de pouvoir. Et lui donner un socle. Comme s'il n'osait pas. Lui, le « sang mêlé », le fils de Hongrois, petit-fils de Juif de Salonique, aurait cent fois pu se dégotter une île de Ré, un Colombey-les-Deux-Eglises ou un autre sanctuaire. Mais il ne l'a jamais fait. Pudeur ? Incapacité à « atterrir », au sens littéral du terme ?

Une autre dimension

L'homme de toutes les impatiences, de tous les toupets, de toutes les imprudences, a fini par trouver. Il a attendu la fi n de la campagne électorale pour se poser enfi n. Où ? Sur un sentier de montagne, à près de 1 500 mètres d'altitude, au coeur du plateau des Glières, en Haute-Savoie. Ce lieu mythique, François Mitterrand n'avait fait que le survoler en hélicoptère. L'homme de la Nièvre n'avait pas pu s'y poser pour cause de neige trop abondante. Nicolas Sarkozy, lui, l'a fait. Pour la première fois, le pitbull pressé a accepté d'être immobile. Il n'était pas en représentation. Ce jour-là, quelque chose l'a traversé. Le souffle de l'histoire ? Tous ses proches ont perçu la métamorphose. Cet instant T où un homme politique venu de la banlieue chic, un condottiere bruyant, fougueux et insatiable, obsédé de prime time et de conquêtes, passe de l'autre côté du miroir. Dans le camp des grands de ce monde. Oui, Sarko le Tom Pouce de Neuillysur-Seine n'était plus tout à fait le même. Il était devenu l'égal de Giscard, Pompidou, Chirac, de Gaulle. Changement de dimension. Le 4 mai à 11 h 20, les fils et petit-fils de Tom Morel, héros de ce haut lieu de la Résistance, l'attendaient pour déposer une gerbe à la mémoire du combattant de la liberté, mort au combat dans les alpages, sous les balles allemandes, en mars 1944. Là, pour la première fois, Nicolas Sarkozy paraissait apaisé. Il n'avait pas commis l'erreur faite en Camargue, où il s'était exhibé sur un cheval blanc sous l'oeil d'une meute de photographes entassés dans une charrette. Photo grotesque d'un homme encore dans la mêlée, voulant rivaliser avec le « chevalier blanc » du Béarn, François Bayrou. Là, au coeur d'une forêt de sapins, Sarko avait opéré son ordalie. Les jeux n'étaient pas encore faits, mais, pour lui, il n'y avait aucun doute : il était déjà président. Ce moment, il l'attendait depuis si longtemps, « tous les matins en se rasant » . Mais, paradoxe, ne s'y était pas vraiment préparé. La frénésie l'accaparait. Pendant la dernière semaine de campagne, on l'a même senti tiraillé par un mal mystérieux. Une peur indicible ? La peur de gagner, sans doute. Comme les sportifs. Sur le plateau des Glières, sa « pétoche » s'est évanouie. Là, l'hyperactif parle de « paix », de « sérénité ». Il lâche : « Le président de la République est un homme de la nation, pas d'un parti. Il doit comprendre, connaître l'histoire de France, il doit honorer la mémoire de ses héros . » En partant, il ajoute : « Si je suis élu président , je reviendrai chaque année au plateau des Glières . » Coup de marketing ? Pas seulement. 

La France au coeur

La veille, à Montpellier, il avait déjà évoqué la France et « son long manteau de cathédrales ». Il avait même avoué qu'il avait rencontré, au cours de cette campagne, « l'âme de la France » au Mont-Saint-Michel, à Verdun, à Colombey-les-Deux-Eglises. Simple feinte de dernière minute ? « La France a cessé pour moi de n'être qu'une idée pour devenir presque une personne [...] , avouet-il. La France, elle ne m'a pas quitté , je n'ai parlé que d'elle , je n'ai pensé qu'à elle. Je n'ai fait campagne que pour elle. » Les anti-sarkozystes primaires diront que cette déclaration d'amour à l'Hexagone n'est qu'un coup de com', un de plus. Un leurre pour contrer la vague de sidération quasi religieuse sur laquelle a surfé Ségolène Royal en fin de campagne. Parade à la « Jeanne d'Arc socialiste » ? Pas si simple. Ce trône de l'Elysée, Nicolas Sarkozy le convoitait depuis tant d'années. Le soir de sa victoire du premier tour, il reçoit un coup de téléphone de félicitations de Jacques Chirac. Il lui glisse, goguenard : « Monsieur le Président , vous avez vu le résultat ? On a bien commencé en 1975 à Nice. On finit bien ce soir, même si, entre-temps , cela a été tumultueux ... C'est bien de pouvoir installer quelqu'un de sa famille. »

Le double de Chirac

Nice ? Petit rappel historique : Nicolas Sarkozy, jeune militant gaulliste, intervient aux assises nationales de l'UDR. Il a 20 ans, lance à la tribune : « Etre gaulliste, c'est être révolutionnaire ! » Le novice observe, bluffé, le hold-up de Chirac sur le parti gaulliste. Trente ans plus tard, en 2004, Sarko fera la même chose avec l'UMP. Contre son ancien parrain. En quelques mots, le nouveau président rappelle à son ancien mentor qu'au fond ils se ressemblent. Ils ont été tous les deux des capitaine Fracasse, dansant sur les cadavres des rivaux éliminés, toujours sur le ring, prêts à en découdre, pour se retrouver seuls au sommet. Durant ces « trente glorieuses », ils auront tout connu, les revers cinglants, les triomphes, les félonies, les moments de grâce. Mais la pire année pour eux est sans conteste 2005 : affaire Clearstream, émeutes en banlieue, apparition de Dominique de Villepin, le joker de Chirac. La bataille fut rude. Et finalement, Sarkozy n'a pas tué le père. Il l'a neutralisé en lui subtilisant tous les pouvoirs. En le traitant de Louis XVI occupé à faire de la serrurerie, il l'a cantonné dans un rôle de semi-retraité. Jacques Chirac, paradoxe de la V e République, n'était plus qu'un roi nu. Il lui était impossible de se représenter. Autre paradoxe : Nicolas Sarkozy, le fils indigne, a construit toute sa carrière politique autour de l'image tutélaire de Jacques Chirac. Il fut son disciple, son confident, son Ganelon, son Brutus. Mais pas un jour il n'a cessé de penser au Grand, son miroir. A celui qui lui a tout appris en politique et qu'il a surpassé.

Un pénitent très agité

Cette fois, il est seul. Il va lui falloir apprendre à vivre sans la statue du Commandeur. Est-ce pour découvrir la vie en solo qu'il a pris la décision, au lendemain du 6 mai, de partir s'isoler, de faire retraite, à 52 ans, tel un moine cénobite, quelque part, en Corse ? Petite révolution intérieure : le quinquagénaire vibrionnant, incapable de vivre sans le regard des autres, veut faire pénitence, « pour habiter la fonction, dit-il, prendre la mesure de la gravité des charges qui pèsent désormais sur [ ses ] épaules , se reposer après le fracas de la campagne... » Parviendra-t-il à rester quelques jours tranquille ? On l'imagine mal en cellule de méditation, pendant que la France gronde et que la campagne des législatives est déjà engagée. Il aurait pu fi ler en thalassothérapie à Arcachon ou à l'île Maurice. Pour faire le vide, oublier ces longs mois de compétition acharnée au cours desquels il a pris les pires risques. Dont celui de se transformer en diablotin lepéniste. Il l'avait dit autour de lui : « Mitterrand a fabriqué Le Pen. Moi, je vais l'atomiser . » Pari gagné. Mais à quel prix ?

Une dureté étudiée

En se lançant dans une tactique frénétique du tout-répressif, de la célébration hystérique de l'identité nationale, il a failli transformer l'UMP en succursale moderne du FN. Il le sait. Sa tactique au bazooka pour récupérer les voix du FN l'a mis en danger, exaspérant les électeurs centristes, et donnant à la gauche des raisons de le présenter comme un « danger pour la France ». La stratégie a payé. « Chaque fois qu'on me signale que Sarko a été trop dur , j'hésite à le lui dire, raconte François Fillon, son conseiller politique, Premier ministre potentiel . Ce qui fait sa force, justement, c'est qu'il est dur. Une fois, il a dit en petit comité : “ Si vous voulez que je sois centriste, il faut me le dire ! Mais dans ce cas, je ne serai pas élu. ” » Un autre collaborateur du vainqueur ajoute : « Le soir du premier tour, il avait réussi son opération anti-Le Pen. Nous avions tous eu très peur de cette tactique. Mais nous étions bluffés . Politiquement, il avait dix sur dix. Et là , il a opéré un virage à 180 degrés . Nous étions abasourdis. » En lévitation devant son score de 31 %, Sarko facho se transforme en saint Nicolas. Dans un discours quasi mystique, il « fait un rêve » , à la Martin Luther King, chaleureux, tolérant, pour tout dire d'essence chrétienne. La France des lascars, de la racaille ? Oubliée. Le candidat de l'UMP est désormais dans la France des clochers, de l'éternité. Il force sa nature en tentant de se donner l'image d'un père tranquille. Il se mitterrandise. Il le fait savoir en rendant visite à son ami Michel Charasse, sénateur maire de Puy-Guillaume, confi dent de Mitterrand. Les deux hommes s'embrassent joyeusement devant les photographes. Ils ne dissimulent pas leur complicité. Clin d'oeil de l'histoire : l'homme de tous les secrets de l'ancien président socialiste, grand spécialiste de droit constitutionnel, ne semble pas effrayé par le « diable » Sarkozy. Au contraire. A quelques jours de l'élection, sa chaleureuse hospitalité vaut consigne de vote. Sarko est aux anges. D'autant que, le jour même, il est invité à boire le thé à Chanonat, chez Valéry Giscard d'Estaing. Les trois présidents qui l'ont précédé lui donnent en quelque sorte leur onction. La controverse sur le débat télévisé Bayrou-Royal ? Elle l'effleure à peine. Il est convaincu que la candidate socialiste a opéré son rapprochement avec le centre trop tardivement et dans la précipitation. « Au moment du débat sur BFM, la dynamique en sa faveur était trop solide pour qu'elle puisse renverser la vapeur, confie un de ses collaborateurs. Nous aurions été beaucoup plus inquiets si elle avait annoncé la composition d'un gouvernement dirigé par DSK quinze jours avant le premier tour. Voilà pourquoi, malgré les turbulences, il n'était pas vraiment angoissé . Ou, du moins, pas trop... »

Le complexe de l'intrus

Est-ce si sûr ? A Valenciennes, le jour du fameux débat télévisé entre sa rivale et le patron de l'UDF, alors qu'il rend visite à des ouvriers avec Jean-Louis Borloo, il paraît crispé. Il n'aime pas ce barnum. Il critique ce qu'il appelle la « petite fi nale » . Il a le sentiment qu'on lui vole sa victoire du premier tour. Et qu'on zappe le grand débat sur les institutions, sur sa « République exemplaire ». Quand il annonce qu'il viendra au moins une fois par an présenter son bilan politique devant le Parlement, quand il propose un gouvernement resserré, économe, de quinze ministres, quand il déclare que, sous son quinquennat, les Français pourront soumettre au référendum la suppression d'un texte existant qui ne leur convient pas s'ils représentent 10 % du corps électoral, plus personne n'écoute. Il se sent exclu du jeu. Encore une fois, il est atteint par le syndrome de l'intrus. Comme quand il était môme, à Neuilly-sur-Seine, où il avait toujours l'impression d'être de trop dans les grandes familles de la bourgeoisie. Et puis vint ce moment magique du plateau des Glières... En moyenne montagne, l'écorché vif a pris de la hauteur. Saura-t-il s'y maintenir ?

Challenges.fr | 10.05.2007 | 

Publié dans BIG BANG

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