Il ne s’agit pas pour le PS de faire son « Bad Godesberg » mais de rattraper les cinquante ans d’histoire économique qui se sont déroulées depuis (Les Gracques, Nouvel Obs, 07/05/2007)

Publié le par François Alex

LA GAUCHE (traditionnelle) est morte. Vive la gauche (moderne) !

La très large victoire de Nicolas Sarkozy, à qui il faut souhaiter bonne chance, n’a pas été seulement remportée sur son adversaire, Ségolène Royal, à qui il faut rendre hommage. C’est d’abord la sévère défaite de la stratégie adoptée depuis des années par le Parti socialiste.

Les raisons en sont aussi simples qu’elles étaient, malheureusement, prévisibles : un programme archaïque et un système d’alliance dépassé.

Si le PS n’en tire pas les conséquences, après trois échecs successifs aux présidentielles, il continuera de perdre. Son avenir sera alors celui d’une lente et irréversible marginalisation.
Le recul de l’extrême-gauche signifie que les socialistes n’ont plus besoin d’aller chercher chez celle-ci la rhétorique de leur programme, avant de la combiner tant bien que mal avec les exigences des responsabilités gouvernementales. C'est cela qui les empêche depuis 25 ans de définir un projet efficace et négocié de remise en route de la machine à fabriquer de la croissance économique et du progrès social.

En revanche, ils ont désormais besoin du centre, faute d’avoir su occuper à temps son espace idéologique. Avec 18,5% des voix, plus du double du « pôle de radicalité », François Bayrou a démontré la vitalité d’un courant démocrate-social autonome vis à vis de la droite. Sa force, réunie à celles de la gauche, ouvrait la voie à la victoire. Mais le PS n’a pas osé.

Pour franchir de nouvelles étapes, il faut un aggiornamento de la pensée socialiste dont la traduction la plus tangible serait un accord politique en bonne et due forme avec le centre aux législatives. Certains éléphants vont sans doute spéculer sur leur capacité à « plumer la volaille centriste ». Calcul à courte vue qui méconnait les réalités nouvelles de la démocratie d’opinion ! De même que le trop faible report des voix de François Bayrou a fermé la route de l’Elysée à Ségolène Royal, des triangulaires dans de nombreuses circonscriptions interdiraient une puissance parlementaire à la gauche. Le redressement électoral du PS passe par un accord de gouvernement avec le centre et des désistements mutuels aux législatives.

Evidemment, cette mécanique des accords électoraux et de gouvernement doit refléter un accord de programme.

C’est sur ce terrain que l’enseignement des élections est le plus clair. La gauche a perdu la bataille des idées, non pas tellement sur les questions de société, où Ségolène Royal a su marquer sa différence et sa modernité, mais sur la stratégie économique et sociale. Depuis plusieurs années, sous l’égide de Nicolas Sarkozy, la droite a méticuleusement et profondément renouvelé son logiciel. La gauche, elle, a joué l’immobilisme et le refus des réformes, alors que son ADN porte l’ingénierie sociale de la modernisation négociée.

L’alliance avec le centre peut être décisive pour aider le PS à se réinventer. Les convergences existent d’ores et déjà sur les questions institutionnelles ou de société. Il reste à bâtir un compromis sur le terrain de la politique économique. Et c’est au parti socialiste d’accomplir l’essentiel du chemin. Il ne s’agit pas pour lui de faire son « Bad Godesberg » mais de rattraper les cinquante ans d’histoire économique qui se sont déroulées depuis, et qui ont vu se déployer la mondialisation, le développement de l’économie de service ou la transformation des Etats Providence.  

Le projet de cette nouvelle alliance a pour socle un objectif majeur : tout faire pour accélérer la croissance équitable. Sa plateforme pourrait s’articuler autour de 10 points clés : 1) investir dans la formation et la recherche, dans les conditions de décentralisation , de souplesse et d’efficience des grandes économies développées ; 2) libérer le potentiel de création de centaines de milliers d’emplois dans les services que stérilisent des lois malthusiennes et un coût du travail non qualifié trop élevé, et qui permettrait en particulier d’accueillir les jeunes peu ou mal diplômés; 3) favoriser le développement et la croissance des entreprises petites et moyennes ; 4) mieux accompagner et protéger ceux qui perdent leur emploi, sans empêcher la mobilité sans laquelle l’économie ne peut réussir ; et dans le même esprit, mettre en place un revenu universel de solidarité active qui incite les plus démunis à aller vers le travail au lieu de les en dissuader ; 5) lutter contre la vie chère en construisant plus de logements ; 6) restaurer la confiance des Français dans la déontologie de leurs dirigeants d’entreprise en fixant des règles de comportement exemplaires ; 7) refonder la démocratie sociale en modifiant les principes de représentativité et de négociation pour favoriser le fait majoritaire et les accords ; 8) stabiliser à terme, puis réduire l’endettement de la France, pour préserver nos engagements européens et ne pas faire payer aux générations à venir le prix de nos errements passés; ainsi pourrait être adoptée la proposition faite par François Bayrou d’une interdiction constitutionnelle de présenter un budget en déficit, hors dépenses d’investissement et cas de récession; 9) réformer les institutions, depuis la proportionnelle jusqu'aux règles de nomination, pour accroître encore le pluralisme et l'impartialité de l'Etat; 10) relancer activement la construction européenne notamment par l'élaboration et l'approbation d'un texte constitutionnel.

Nous avions proposé cette analyse dès avant le premier tour. Que n’avons-nous entendu ? Les faits nous ont donné raison. Ségolène Royal et François Bayrou ont su, malgré les réticences de beaucoup des leurs, se parler, et établir un constat de leurs accords et de leurs désaccords. Nous avions appelé à une main tendue. Elle l'a été. Il reste à sceller la démarche par un accord trouvé sur des valeurs, sur une plateforme de gouvernement et sur les législatives à venir.

N’ayant promis que ce qu’elle peut tenir, cette alliance rendrait aux Français la confiance qu’ils ont perdue dans leurs institutions. Elle marquerait un renouveau idéologique du PS trop longtemps retardé après 1993, après 1995, après 2002, après le Non au référendum sur l’Europe. Déplaçant les lignes de front, elle démontrerait concrètement qu’il est possible de faire de la politique autrement. Proposant une voie négociée de modernisation, elle permettrait aussi d’espérer la réforme sans heurts.

La droite a gagné sur ses idées, son unité et sa modernité. A la gauche de relever ce triple défi, et de le relever avec le centre et les verts. La campagne aura permis au moins de faire tomber les barrières et les préjugés. Notre conviction est qu’il s’agit d’un mouvement inéluctable. Pourquoi retarder cette nouvelle alliance au risque d’une nouvelle défaite ? Le moment social-démocrate est venu.  Autrefois, on reprochait à la gauche « mendésiste » d’avoir politiquement tort, même si elle avait intellectuellement raison. Cet argument est tombé. La gauche moderne, c’est un projet économique et social crédible ; c’est la perspective de renouveler la politique par une alliance avec le centre ; mais c’est aussi la meilleure stratégie électorale. N’attendons plus.

(le lundi 7 mai 2007)

LE PS APRES LA PRESIDENTIELLE 

Le moment social-democrate !

par Les Gracques,

nom collectif choisi par un groupe d’ancien collaborateurs du Président de la République François Mitterrand et des gouvernements des Premiers ministres Michel Rocard, Pierre Bérégovoy et Lionel Jospin  

© Le Nouvel Observateur 

NOUVELOBS.COM | 07.05.2007 | 11:10

Publié dans GAUCHE MODERNE

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